Je m’appelle Martin Caillet. Je suis gynécologue au CHU Saint-Pierre, depuis maintenant 8 ans.
De la naissance d’un intérêt pour les MGF…
J’ai la chance de travailler au CHU Saint-Pierre qui est un hôpital tout à fait particulier. De par son histoire et sa localisation au centre de Bruxelles l’hôpital a toujours pris en charge des personnes démunies. C’est une des particularités de Saint-Pierre. Et c’est ce qui fait que j’ai été très rapidement mis en contact avec des patientes issues de pays où les mutilations génitales sont réalisées.
Au cours de ma formation de gynécologie, on m’a proposé de présenter une conférence sur ce sujet. Comme j’y avais été confronté dans ma pratique, au sein de l’hôpital, ça m’a paru tout à fait intéressant. A partir de là, très rapidement, j’ai été impliqué dans différentes démarches. D’abord, mes collègues ont commencé à m’envoyer les patientes qui avaient des difficultés. Et puis, j’ai été en parler à gauche et à droite. On m’a invité au Conseil Supérieur de la Santé en 2008dans le cadre de l’avis demandé par la Ministre fédérale de la santé publique, Mme Onkelinx, sur la pertinence du remboursement de la chirurgie de reconstruction du clitoris. Et c’est là que j’ai rencontré Fabienne Richard. Depuis on a continué à travailler ensemble.
Le Conseil Supérieur de la Santé a rendu son avis en aout 2009 en demandant un remboursement à la fois pour la chirurgie et la prise en charge multidisciplinaire (sexo, psycho) puisque nous étions tous persuadés à la commission que la chirurgie seule ne pouvait pas suffire. Le temps a passé et rien ne bougeait donc on a décidé d’être pro-actif et d’envoyer un dossier demandant le remboursement qu’on a présenté à l’INAMI avec quelques membres de la commission. . Ca n’a pas été le grand enthousiasme d’emblée. L’INAMI nous a demandé de faire des évaluations chiffrées de ce que pouvait coûter cette prise en charge. Et, de fils en aiguilles, ce dossier est arrivé entre les mains de personnes ayant les compétences et le pouvoir de faire avancer les choses.
Le miracle s’est produit quand on a appris, en février 2014, que le remboursement allait pouvoir se faire, de la manière dont on le souhaitait, c’est-à-dire conformément à l’avis qui avait été donné collégialement par les membres de cette commission du Conseil supérieur de la santé. Ce qu’on voulait donc depuis le début : non pas le remboursement de la chirurgie, mais bien le remboursement d’une prise en charge médicale multidisciplinaire globale qui s’appuie avant tout sur une prise en charge sexologique, psychologique et médicale. Et que la chirurgie, en tout cas la chirurgie de la reconstruction du clitoris, n’entre en ligne de compte que pour les patientes qui en ont réellement besoin. Donc, en gros, ce qu’on voulait, c’était une prise en charge de la personne, dans sa totalité qui comprenne la chirurgie quand c’est nécessaire. Et c’est exactement ce qu’on a obtenu.
… à la création d’un centre multidisciplinaire
Après, il a fallu réunir l’équipe : il a semblé évident, d’emblée, qu’on allait rester ensemble avec Fabienne Richard pour ce projet. Fabienne a travaillé de nombreuses années en Afrique auprès de patientes excisées, ce qui facilite son contact avec les patientes. Son expérience acquise au GAMS lui permet de faire le lien entre l’hôpital et le secteur associatif. On avait déjà eu l’occasion de collaborer dans le cadre de la campagne d’information dans les hôpitaux et on travaille bien ensemble..
Je me suis renseigné au sein de l’hôpital Saint-Pierre, sur les personnes qui pouvaient correspondre à cette équipe. Il s’est avéré qu’on venait d’ouvrir à Saint-Pierre une unité de la douleur, au sein de laquelle travaille une psychologue de la douleur, Mme Sonia Zeghli, qui a accepté de participer au projet. Elle s’est révélée être une arme extrêmement efficace pour aider les patientes. Parce que, d’abord c’est quelqu’un de tout à fait passionné par la prise en charge de la douleur et qui se renseigne énormément, qui lit énormément. Elle fait du bien aux patientes. A la clinique du périnée, on a également la chance de travailler, avec Cendrine Vanderhoeven, une sage-femme sexologue. Je l’ai contactée aussi et elle était tout à fait partante. C’est comme ça que notre petit quatuor est né. Maintenant, cela fait effectivement plus de 6 mois déjà qu’on travaille ici tous les mardis après-midi.
La philosophie de prise en charge de CeMAViE s’appuie sur une prise en charge multidisciplinaire qui est extrêmement d’actualité en médecine. Il y a beaucoup, beaucoup de pathologies qui sont maintenant prises en charge de manière transversale, par plusieurs spécialistes en même temps. L’idée est d’éviter qu’une patiente aille de docteur en docteur lors d’un long périple de rendez-vous étalés sur plusieurs mois. Quand ces problèmes sont reliés les uns aux autres, on essaie de faire consulter les docteurs au même endroit. Donc, en gros, on préfère que ce soit les docteurs qui se déplacent et la patiente qui reste fixe plutôt que l’inverse. C’est pour cela que j’ai choisi de m’installer dans les locaux de la clinique du périnée qui a été conçu pour cette prise en charge multidisciplinaire de proximité.
Pour l’instant, le mardi après-midi on travaille tous ensemble : Fabienne, moi et Sonia dans le même couloir. On communique donc très facilement. Et dès que ce sera possible, on sera tous les 4 ensemble. Cendrine viendra nous rejoindre. C’est exactement comme ça qu’on veut travailler. Ce serait beaucoup plus compliqué si Fabienne consultait un jour, moi un autre jour, Sonia un troisième. La communication dans la prise en charge multidisciplinaire, et en médecine en générale, est un problème récurent. Ce gain en qualité de communication est un bénéfice énorme, pour les patients mais aussi pour les soignants qui peuvent transmettre l’information en direct. Il y a moins de transformation, moins de perte de temps. C’est vraiment parfait.
Création d’un petit cocon
On profite des infrastructures de la clinique du périnée au niveau de la communication. Mais c’est un espace de soin qui a été pensé comme une petite enclave, un petit peu protégée au sein de la fourmilière que peut être un gros hôpital comme Saint-Pierre. On voulait pouvoir écarter, du tumulte de la ville, nos patientes qui viennent se confier sur leur(s) problème(s) intimes comme l’incontinence, la descente d’organes, les douleurs pelviennes, les problèmes ano-rectaux etc. dans le cadre de la clinique du périnée. Et cela correspond tout à fait bien à ce que pouvaient souhaiter nos patientes ayant subi des mutilations génitales parce qu’elles méritent, comme toutes patientes, une intimité optimale. Certaines ont encore des difficultés dans leurs démarches auprès de CeMAViE, par rapport aux membres de leur communauté. On peut donc leur offrir aussi une intimité par rapport à cela, puisqu’elles peuvent se réfugier dans les locaux. Si elles n’ont pas envie d’être vues par les dames enceintes ou les membres de la communauté qui se promènent dans les couloirs, elles sont tout à fait à l’abri des regards et donc le secret médical et l’intimité sont préservés à ce niveau-là aussi pour celles qui le souhaitent.
Quelle est la place de la reconstruction chirurgicale dans le centre ?
Nous ne sommes pas une équipe chirurgicale. Pour nous, la chirurgie est moyen, pas une fin. On essaie d’aider les gens sans les opérer. Parfois, c’est cependant nécessaire. Mais, il faut bien garder en tête que cette prise en charge est avant tout une prise en charge qui se fait auprès de la sage-femme, de la psychologue et de la sexologue, que l’apport médical est essentiellement gynécologique,.
Pour la petite chirurgie, évidemment, il n’y a aucune difficulté. Mais la reconstruction du clitoris… il faut voir ça comme une épreuve. C’est quelque chose de difficile, avec un processus de guérison qui est très douloureux et très long. Et il faut je pense casser cette image de la chirurgie miracle qui résout tous les problèmes et qui est simple et facile. Parce que dans la réalité, ce n’est pas du tout ça. Dans la réalité c’est quelque chose de compliqué et il faut beaucoup de courage et de force pour traverser tout cela.
Quelle communication a-t-on fait autour de l’ouverture du centre, en Belgique et en France ?
Pour ce qui est de la communication, pour l’instant, on n’a pas énormément communiqué. On n’a pas fait d’inauguration du centre au sens stricte parce qu’on savait qu’il y aurait une visite royale… Dans le cadre de l’ouverture du centre, j’avais sollicité la Reine Mathilde., j’ai pu faire sa connaissance quand elle était encore Princesse dans le cadre de la journée de la femme. C’est quelqu’un qui s’intéresse beaucoup à la condition de la femme, qui est impliquée dans cette problématique, y compris au niveau international. Je l’ai donc sollicitée pour qu’elle soit la marraine de notre centre. Et elle a accepté de placer le centre sous son haut patronage. Dans le cadre de ce haut patronage, elle nous avait annoncé qu’elle viendrait nous rendre visite pour voir ce qu’on faisait. Il avait été convenu que ça se fasse quand le centre aurait démarré. La communication va donc se faire via cette visite qui a lieu le 28 novembre.
Par ailleurs, évidemment, on a pris soin, au moment de l’ouverture du centre, d’envoyer aux plannings familiaux, aux centres et aux personnes concernées, une petite pile de brochures pour leur dire qu’on existait.
Pour ce qui est de la France, ou plutôt pour ce qui est de notre position par rapport à la France, et bien là, de nouveau, le bouche à oreille commence à bien fonctionner. On est en contact avec certains centres français qui savent qu’ils peuvent réorienter vers nous les personnes qu’ils souhaitent. Donc ça avance, ça suit correctement son cours….
Le centre suscite des questions, notamment auprès du public cible qui souhaiterait le visiter…
On est une structure qui est tout à fait ouverte : n’importe qui peut venir effectivement nous rencontrer, nous visiter. S’il s’agit de professionnels de santé ou des acteurs du secteur, ils peuvent venir assister à nos réunions, il n’y a aucun problème. On a beaucoup, beaucoup de stagiaires qui viennent chez nous. Notamment des stagiaires en sexologie. On a pris récemment la décision de limiter un peu l’accès aux stages car pour finir les patientes sont en permanence confrontées à des stagiaires et on estime qu’il fallait limiter un peu pour respecter leur démarche. Mais à part ça, on est ravie d’accueillir des gens et on est très fier de notre bébé. Comme tous les jeunes parents, on est ravi de montrer les photos et de le faire visiter.
De futurs projets ?
Selon moi, il y a un problème majeur qui se pose. Pour l’instant, cette prise en charge n’est remboursée que pour les personnes qui ont une mutuelle. Nous n’avons malheureusement pas pu obtenir de l’INAMI que les patientes sans mutuelle bénéficient d’une prise en charge. Donc, mon projet – maintenant que ce projet-ci a abouti en grande partie – c’est d’essayer de trouver un financement pour aider les femmes qui n’ont pas de mutuelle. Une grande partie des gens qui viennent consulter ici, n’ont pas de papiers. Les organismes qui les prennent en charge payent la consultation par le gynécologue. Mais elles ne peuvent pas bénéficier du tout de la prise en charge psy, ni de la sage-femme, ni de la sexologue alors que, la plupart du temps, elles en ont encore plus besoin que du rendez-vous médical. Donc, voilà, c’est la 2ème étape du projet, c’est une étape très importante parce que ça représente beaucoup d’argent. Je ne sais pas encore très bien comment m’y prendre. Il faudra, très probablement, essayer de trouver des fonds privés, peut-être auprès de certains ministères, peut-être des fonds européens. Je ne sais pas.
L’argent pour la recherche est relativement facile à trouver mais pour soigner les gens, ce n’est pas évident. Donc voilà. Mais le projet ce serait de pouvoir offrir, à qui frappe à la porte, la même prise en charge… sans conditions particulières. A mon avis, c’est réalisable, parce que même si ça semble des sommes d’argent conséquentes, a priori… le flux de patiente n’est pas gigantesque. Donc, au final, ça devrait être jouable. Mais est-ce que c’est jouable dans la durée ? Je ne sais pas. En tous les cas, le projet, c’est ça : ce serait de pouvoir offrir la même prise en charge pour tout le monde, sans distinction.
J’ai également un autre projet, un peu plus vaste : ce serait de pouvoir étendre cette prise en charge aux femmes qui ont subi des violences en générale. Oui, ça c’est mon… mon encore plus grand projet. Mais bon, voilà, il faut faire une chose à la fois. Mais c’est vrai que cette prise en charge multidisciplinaire, c’est quelque chose qui est pratiqué à beaucoup d’endroits évidemment, et qui est, selon moi, très efficace. Mais donc, pourquoi s’arrêter aux dames qui ont été excisées ?! Il y a aussi des dames qui se sont fait violées, qui… enfin, il y a toutes sortes de violences que les femmes subissent quotidiennement. Il y a évidemment énormément d’endroit où on les aide. Mais est-ce que… J’aime bien cette idée de se mettre à plusieurs autour d’une table. Souvent les médecins restent entre eux, les autres travaillent ensemble. Donc… j’aime bien cette idée de s’assoir tous autour d’une table et de discuter. Parce que cela apporte énormément de richesse…
CeMAViE
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Tel +32(0)2 506 70 91
De 8h à 17h
(sauf lundi et jeudi jusque 18h)
Adresse
CHU Saint-Pierre
Site César De Paepe
Rue des Alexiens 11-13
1000 Bruxelles
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[1] Fabienne Richard, sage-femme et docteure en santé publique, membre de l’équipe du Centre Médical d’Aide aux Victimes de l’Excision (CeMAViE), est également la directrice du GAMS Belgique.
[2] Institution Nationale d’Assurance Maladie-Invalidité (INAMI) « est une institution fédérale qui joue, comme les mutualités, un rôle dans les soins de santé et les indemnités d’incapacité de travail » : source consultée le 25 novembre 2014 : http://www.inami.fgov.be/presentation/fr/missions/index.htm