Fatoumata Sidibé est députée au Parlement bruxellois. D’origine malienne, Fatoumata a vécu en Belgique avec ses parents de ses 2 à ses 7 ans. Elle est ensuite retournée vivre au Mali avant de s’installer en Belgique il y a une trentaine d’années. Titulaire d’un master en communication sociale et journalisme, elle s’intéresse particulièrement aux droits des femmes et c’est en travaillant pour le magazine AMINA qu’elle a rencontré, il y a une vingtaine d’années Khadia Diallo, présidente et fondatrice du GAMS Belgique qui venait d’être créé. Depuis, elle n’a cessé de soutenir l’association.
Fatoumata Sidibé a travaillé dans des domaines divers tels que la communication, l’édition, les relations publiques, le journalisme, le marketing et la coopération au développement. Militante féministe et laïque, elle a également cofondé le Comité belge Ni Putes Ni Soumises. Ensuite, elle s’est tournée vers la politique. Ses principaux dossiers sont les droits des femmes, la laïcité, la lutte contre les discriminations, les racismes et les exclusions, ainsi que l’emploi…
Mettre des mots sur son sentiment d’injustice
Comment avez-vous été emmenée à vous engager pour les droits des femmes ?
« Quand j’étais petite, au Mali, j’étais vraiment révoltée, car ce n’était vraiment pas un pays progressiste, il y avait la polygamie, le mariage forcé, la répudiation des femmes, l’excision… Les filles avaient moins accès à l’éducation, les garçons étaient privilégiés. Je voyais toutes ces inégalités et j’étais révoltée, je ne comprenais pas ! Bien qu’imprégnée par ces constats, je n’arrivais pas forcément à y mettre des mots… »
« Plus tard, quand j’ai terminé mes études en communication sociale et journalisme à l’UCL, j’ai commencé à écrire dans le magazine français Amina. Mes deux premiers articles étaient intitulés « femmes africaines entre tradition et modernité » et « excision et infibulation, pourquoi saccager le sexe des femmes ? »… c’était le début de mes écrits, j’ai pu mettre des mots sur ce que j’avais pensé déjà toute petite. »
La lutte des femmes africaines est aussi présente dans le roman de Fatoumata Sidibé, « Une saison africaine », publiée en 2006, qui met en scène des femmes, africaines, qui se battent contre les discriminations qu’elles vivent.
Rencontre avec la fondatrice du GAMS Belgique
« En tant que journaliste j’ai cherchais à donner la parole aux femmes qui se battaient pour leurs droits. C’est ainsi que j’ai été amenée à interviewer Khadiadiatou Diallo pour le magazine AMINA, tout au début du lancement du GAMS Belgique. C’était une révolution de voir des femmes s’engager comme elle le faisait. Ce qui était nouveau aussi c’est que jusqu’à présent on voyait surtout des femmes européennes parler de l’excision. Il y avait des réactions négatives, les gens disaient « mais pour qui vous vous prenez, de parler de ça ? ». Il a fallu que les femmes africaines, qui avaient vraiment vécu ça (l’excision) prennent le sujet au bras le corps. »
Jusqu’à présent on voyait surtout des femmes européennes parler de l’excision. Il a fallu que les femmes africaines, qui avaient vraiment vécu l’excision prennent le sujet au bras le corps. Aujourd’hui, les Européen.ne.s qui travaillent sur les mariages forcés et l’excision, savent qu’elles et ils doivent s’appuyer sur les ressources dans les pays eux-mêmes !
Regards d’une Malienne expatriée sur la coopération au développement
« Avant d’arriver en politique, j’ai aussi collaboré avec des ONG, notamment le Fonds Ingrid Renard et Médecins du monde. En 2000, j’ai été envoyée en mission au Mali pour un projet de santé. C’était un choc. Je me suis rendue compte, qu’à l’époque, en tant qu’Africaine, femme, jeune, j’étais moins crédible et légitime que les personnes européennes blanches qui venaient au Mali pour travailler dans les ONG. C’était très difficile pour moi d’avoir des rendez-vous, d’être prise au sérieux. Je me suis dit ‘c’est quand-même fou, en Europe on subi des discriminations et je rentre dans mon pays et là je suis aussi confrontée à des discriminations !’. Je suis revenue avec un sentiment de frustration et une volonté de faire changer le regard sur la coopération au développement. J’ai aussi constaté que dans les projets de développement, les projets ne répondaient pas toujours au besoin des populations et ne prenaient pas suffisamment en compte les rapports de genre. »
« J’ai l’impression que les choses ont changé, les Africain.e.s t contribuent beaucoup au développement et les Européen.ne.s qui travaillent sur ces causes, dans ce cas-ci de mariages forcés et d’excision, savent qu’elles et ils doivent s’appuyer sur les ressources dans les pays eux-mêmes ! ».
Est-ce que vous pensez que les MGF sont une priorité pour les femmes maliennes, par rapport aux autres problèmes auxquels elles font face ?
« Oui, car les MGF sont des pratiques dangereuses, une violation fondamentale aux droits humains et une atteinte à la dignité, à l’intégrité physique, à la vie. C’est d’ailleurs une question de santé publique. Mettre fin aux MGF et aux autres violences envers les femmes est une question de droit et permettra également de répondre à d’autres priorités des femmes, comme leur permettre d’assurer leur survie financière. Des filles en bonne santé peuvent plus facilement avoir accès à l’éducation, à l’emploi. Bien sûr, le changement prend du temps et il faut avancer à en tenant compte des contraintes. »
Sensibiliser, « recycler » les exciseuses et, en ultime recours, condamner
Actuellement il y a plusieurs procès en cours, au Burkina Faso, contre des femmes, exciseuse, mères et grand-mères, pour leur implication dans l’excision de petites filles. En Europe, on sait qu’il y a eu plusieurs condamnations en France, alors qu’en Belgique il n’y a encore jamais eu de procès. Quel est votre avis sur l’usage de la loi ?
« Pour moi les procès concernant les MGF devraient être menés contre les chefs de familles, les hommes, plutôt que les mères où les exciseuses. C’est facile de mettre uniquement la faute sur les femmes. Les femmes sont les gardiennes des traditions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, c’est leur responsabilité. Elles sont à la fois victimes et bourreaux. Pourquoi intenter un procès contre les chefs de famille, aurait-il un sens ? Car s’ils disaient ‘non !’ ce serait non ! Il faut que la responsabilité change de camp. L’excision n’est pas une affaire de femme. C’est aussi avec la complicité, l’autorisation ou la pression des pères, frères, époux… Leur silence est complicité et consentement. Leur engagement est indispensable pour lutter contre ce fléau. C’est pour cela qu’il faut mobiliser les hommes dans la lutte contre l’excision. Si on montrait une vidéo d’excision aux hommes, beaucoup se lèveraient pour refuser de faire exciser leur fille, sœur, etc.»
« Evidemment, la pénalisation n’est pas suffisante. Il faut aussi sensibiliser et ‘recycler’ les exciseuses. Quand les exciseuses disent « j’ai participé à cela mais là j’ai déposé le couteau » ça a un réel impact. Au niveau de la sensibilisation, il faut non seulement sensibiliser les parents, les communautés, dont les jeunes à travers les animations EVRAS dans les écoles, il faut également former les professionnel.le.s de la santé, les assistant.e.s sociaux, les professions juridiques. Ceci dit, je suis convaincue qu’on ne mettra pas fin à l’excision sans condamnation… »
Pour un féminisme universel et des droits humains non-négociables
« Je suis pour un féminisme universel, il ne s’agit pas d’imposer un modèle de féminisme, du tout, mais je pense que certains droits ne sont pas négociables ! Les droits humains ne sont pas à géométrie variable en fonction de l’origine, de la religion, de la culture. »
Les droits humains ne sont pas à géométrie variable
« Au niveau de la Belgique, je suis favorable à plus de contrôles lorsque les familles voyagent dans les pays d’origine où l’excision est pratiquée. A mon avis, il n’y a pas de raison que la pratique disparaisse avec l’immigration, surtout que certaines familles ne sont pas là depuis si longtemps… C’est pourquoi il faut multiplier les lieux d’information. Les familles passent par exemple par la Maison communale pour avoir l’autorisation de voyager avec un enfant mineur. Pour moi, cela ne renforce par la stigmatisation de dire « vous êtes originaires d’un pays où l’excision se pratique, le Mali par exemple, vous venez récupérer un document ou un passeport pour pouvoir voyager, on doit vous informer de l’existence de la loi spécifique en Belgique qui incrimine la pratique des MGF depuis 2001 ». Je m’oppose à tout relativisme culturel. A mon avis, si un parent européen excisait sa fille, la question de la condamnation ne se poserait même pas ! … »
Les chirurgies sur les enfants intersexes considérées comme des mutilations génitales
« En plus des droits des femmes, je suis également très engagée sur les questions de genre et notamment les droits LGBT et en particulier des personnes transgenres. J’ai rencontré l’association Genres Pluriels qui m’ont dit : « les chirurgies sur les enfants intersexes, nous on appelle ça une mutilation génitale ! Dès le moment où on décide de manière unilatérale, de choisir le genre, le sexe, de l’enfant alors qu’il n’est pas consentant, c’est une mutilation. Il faut laisser la personne choisir elle-même ». Je souscris totalement à cette revendication, c’est une question d’autodétermination des personnes. »
« Faut-il alors aborder cette question dans la loi sur les MGF… ? Je ne sais pas du tout, c’est une question intéressante sur laquelle les associations spécialisées pourraient se pencher… En tout cas, pour moi, il faudrait plus de convergences entre les associations féministes et les associations LGBTI… »
Vers plus de reconnaissance du travail des associations de terrain
Vous soutenez le GAMS Belgique depuis 20 ans mais en tant que députée bruxelloise vous avez aussi une bonne vue sur les institutions publiques… Selon vous, quel rôle peuvent jouer les pouvoirs publics belges dans la lutte contre les MGF ?
« La loi belge condamne déjà les mutilations génitales féminines depuis 2001. Mais, il y a encore des personnes concernées qui ignorent que ces pratiques sont interdites ici… Pour y remédier il faut d’avantage de sensibilisation. Au niveau de la prévention et de l’accompagnement, les pouvoirs publics se reposent sur les associations de terrain. On entend des politiques dirent « nous avons fait ceci, nous avons fait cela, nous avons donné des subsides ». Mais non, ils ont octroyé des subsides qui proviennent de la collectivité, pour que les associations de terrain fassent le travail et pallient l’insuffisance ou le manque d’actions des pouvoirs publics… »
« C’est un grand travail administratif qui est demandé aux associations, il faut remplir les cases de l’appel à projet, faire des rapports de suivi, et ce pour faire un travail qui à la base revient aux pouvoirs publics…. Le fait que notre pays soit éclaté en plusieurs instances ne leur facilite pas la tâche ! Aujourd’hui les associations passent presque plus de temps dans les dossiers que sur le terrain, un ce système qui favorise les associations ayant les compétences nécessaires pour assurer la charge administrative, pas forcément celles qui sont sur le terrain. C’est pourquoi, à mon avis, les pouvoirs publics devraient d’avantage subsidier le monde associatif pour assurer leur pérennité et leur capacité à toucher le plus de personnes possibles. La grande difficulté des associations de terrain c’est d’assurer leurs financements. Même si les financements ont augmenté, ce n’est pas suffisant et souvent les financements ne sont pas structurels. Les associations de terrain reste dépendants de bénévoles non-payés. »
« Je voudrais terminer en saluant l’immense travail réalisé par le monde associatif. C’est cette extraordinaire capacité d’engagement, de mobilisation et de solidarité citoyenne qui nourrit de l’espoir et peut contribuer à changer le monde, en mieux. »
Article et images : Stéphanie Florquin