Compte-rendu de lecture du livre “In the Name of Tradition – Female Genital Mutilation in Iran” par Kameel Ahmady
Lecture faite par | Stéphanie Florquin |
Genre | Livre / rapport de recherche |
Notions clefs / thématiques |
MGF, excision, Iran, Moyen Orient, anthropologie, recherche |
Référence | 2016, Kameel Ahmady, “In the Name of Tradition – Female Genital Mutilation in Iran”, Frankfurt am Main: UnCUT/VOICES Press |
Langue de l’ouvrage | anglais |
Situer l’auteur |
Kameel Ahmady est un socio-anthropologue originaire de l’Iran. |
Public |
ChercheurEs, étudiantEs, employéEs d’associations oeuvrant contre les MGF, autres personnes intéressées par le sujet des MGF en Asie. |
Sujet de l’ouvrage
Le livre « In the Name of Tradition » porte sur la pratique des mutilations génitales féminines en Iran. Kameel Ahmady a passé plusieurs année à travailler dans des ONGs humanitaires en Europe et en Afrique. C’est lors de missions en Somalie, Egypte, Kenya et Soudan qu’il découvre l’excision. Ayant un vague souvenir d’avoir entendu parler de coupure du clitoris en tant qu’enfant, il décide de se pencher sur la question dans sa propre communauté en Iran. Ce livre est le résultat de recherches menés entre 2005 et 2015.
Résumé
Les MGF en Iran
Après une introduction générale au sujet des MGF et de leur histoire, le Deuxième Chapitre permet d’entrer dans le vive du sujet des MGF en Iran. L’auteur commence par une revue de littérature et note un déficit d’études sur le sujet, notamment dû au manque de soutien politique.
Néanmoins, on sait que la pratique des MGF en Iran a plutôt lieu en milieu rural, dans trois régions de l’Ouest (L’Ouest Azerbaijan, Kurdistan, Kermanshah et Hormozgan). La pratique concerne principalement les musulmans Sunni appartenant à l’école islamique Shafi. La pratique varie fortement, notamment en fonction du groupe linguistique. Le type de MGF le plus courant en Iran est le type I selon la définition de l’OMS, c’est-à-dire l’ablation du prépuce du clitoris, du gland du clitoris, ou le « pricking ». Le premier type serait le plus courant en Iran et la pratique est justifiée par la religion ainsi que le besoin de « purifier » la fille et/ou de contrôler leur sexualité (virginité pré-matrimoniale, fidélité des femmes mariées).
Selon l’auteur, les MGF sont un sujet tabou en Iran et le gouvernement iranien nie son existence ou le cache à la population générale. Il souligne que le manque de financement et de soutien public concerne aussi bien la recherche que les actions de sensibilisation à l’excision dans les régions concernées.
L’étude
Kameel Ahmady continue ensuite par la description de sa propre recherche, débutée en 2005 lors de son retour dans sa région d’origine en Kurdistan iranien. Il a découvert que les MGF y étaient pratiquées, y compris dans sa famille. Grâce à ses premières interviews il a réalisé un film sur les MGF, portant le même titre que le livre et disponible sur son site (www.kameelahmady.com).
Il a ensuite décidé de continuer son travail avec une étude scientifique de plus grande ampleur, grâce à l’aide d’une équipe d’étudiantEs qu’il a forméEs. Une recherche mixte, qualitative et quantitative, a ainsi été menée entre 2005 et 2015. Une méthodologie participative a été adoptée, permettant aux femmes concernées de s’exprimer sur le sujet. Au total 4000 entretiens ont été effectués dans plus de 200 villages des provinces de Hormozgan, Azerbadjan de l’Ouest, Kermanshah et Kurdistan, dont ¾ de femmes et ¼ d’hommes. La méthode a été construite en se basant sur les questionnaires utilisés lors des études DHS et MICS.
Le groupe de recherche a trouvé des preuves de la pratique dans plusieurs régions mais a également montré dans quelles régions les MGF ne sont pas pratiquées.
La fin du chapitre présente les résultats par Province et ensuite par groupe d’âge, montrant que la prévalence est en baisse dans toutes les provinces même si en 2014 elle restait importante dans le Hormozgan (1,5 millions habitants). Les femmes âgées de 30-49 ans étaient ainsi plus concerné par la pratique que la cohorte 15-29, dans toutes les régions.
Les facteurs influant la pratique
L’auteur présent différents facteurs qui influencent le taux de prévalence : éducation, religion et revenu du foyer. Son étude montre que le niveau d’éducation de la mère est l’un des facteurs les plus importants affectant la prévalence : plus le niveau d’éducation est élevé, moins il y a de risque que sa/ses fille/s soit/soient excisée/s et plus elle sera opposée à la pratique. Les MGF ne sont pratiquées majoritairement par la minorité Sunni en Iran alors que la majorité Shia ne la considère pas comme une pratique islamique, bien qu’elle existe dans certaines communautés. Enfin, l’étude a montré une corrélation négative entre niveau de revenu de la famille et excision de la/des fille/s.
Ayant mené l’étude auprès de femmes et d’hommes, les chercheurEs ont pu montrer que dans plusieurs régions les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à soutenir la pratique d’excision. Les entretiens qualitatifs avec les femmes ont permis de trouver une explication : les femmes cherchaient à s’assurer de la possibilité de se marier et d’avoir un bon futur et cherchaient ainsi à protéger la virginité de leurs filles.
Le troisième chapitre présente les actions de lutte contre les MGF, au niveau international et au niveau de l’Iran, ainsi que les facteurs qui favorisent ou limitent le travail vers l’abandon de la pratique.
La question de la religion
Les MGF sont souvent justifiés par l’obligation religieuse. Kameel Ahmady présente l’approche de différentes écoles musulmanes présentes en Iran, encourageant ou non l’excision pour les femmes, ainsi que les différents arguments religieux présentés par les protagonistes et opposants à la pratique. Selon lui, le gouvernement Shia en Iran évite de prendre des mesures contre les MGF parce que la pratique est vue comme appartenant aux groupes Sunni dans des régions reculées. L’explication de la question religieuse, et notamment de la différence d’approche entre les musulmans Shia et Sunni (certaines écoles Sunni), vis-à-vis des MGF permet de mieux saisir le rôle que les textes religieux (Coran, Hadiths…), les avis des autorités religieuses (Fatwas) et la tradition jouent dans son maintien ou abandon en Iran.
Actions de sensibilisation
En plus de la recherche, le groupe de recherche a également mis en place, dès 2010, des actions de sensibilisations auprès de femmes, hommes, leaders religieux dans le but d’accélérer le changement.
L’auteur estime que ces actions ont un eu effet positif pour la diminution de la prévalence dans le pays. Il souligne cependant la nécessité d’accompagner le discours sur les conséquences néfastes sur la santé des femmes avec une opposition claire de la médicalisation, afin d’éviter un simple changement dans le type de coupure et encourager un rejet total de la pratique. Selon lui, il serait propice d’explorer la mise en place de rites alternatifs pour les filles.
Kameel Ahmady plaide pour une approche communautaire avec des mesures de développement socio-économiques afin d’arriver à l’abandon de la pratique des MGF. Tous les groupes de la société doivent être intégrés et le discours aborder aussi bien les besoins fondamentaux des personnes que la santé et les droits. Des mesures doivent être pris pour renforcer les capacités des communautés. Un effort particulier doit être fait pour convaincre les leaders religieux à rejoindre la cause.
Recommendations
A la fin du livre, Kameen Ahmady propose une série de recommandations inspirés par ses recherches et par les opinions exprimées par les communautés elles-mêmes. Ces recommandations incluent entre autre une plus grande implication du gouvernement national, l’implication des leaders religieux, la formation de professionnelLes de la Santé, le développement d’une prise en charge psychologique et de la reconstruction du clitoris, l’engagement de la presse, ainsi que des interventions participatives permettant une la place privilégiée aux femmes.
Critique
« In the Name of Tradition » est un livre très intéressant pour celles et ceux qui souhaitent mieux connaitre et comprendre la pratique des MGF en Iran, encore trop méconnue.
Le livre donne accès à des débats et des informations qui seraient probablement inaccessibles pour la plupart des personnes ne lisant pas le farsi. Ceci dit, le détail du livre fait aussi qu’une personne qui ne connait pas bien l’Iran peut parfois avoir du mal à suivre dans les différents villages, régions, provinces mentionnées. On peut regretter le manque d’une carte globale de l’Iran qui permettrait à des lecteurs/lectrices novices de mieux comprendre la taille et la localisation de différents endroits cités. CertainEs lecteurs/lectrices passeront rapidement sur les longues parties d’explications de telle et telle communauté dans telle et telle localité qui pratique ou ne pratique pas, pour retrouver des propos plus généraux et les synthèses en fin de chapitres.
Le livre décrit aussi les étapes suivis par Kameel Ahmady dans son processus de recherche, depuis le moment où il a eu l’idée de se pencher sur cette question. L’auteur partage également, bien que rapidement, certaines difficultés auquel lui et son groupe de recherche a fait face pendant l’étude : absence de financements, problèmes de déplacements dû aux mauvaises infrastructures et conditions météorologiques.
La partie sur la religion est particulièrement intéressante car elle permet de mieux comprendre les différentes approches et de mieux saisir pourquoi certains groupes musulmans en Iran s’opposent à la pratique alors que d’autres la soutiennent.
On peut regretter qu’il n’y ait pas un peu plus de détail sur les interventions de sensibilisations menées en parallèle avec la recherche, et sur la manière dont ces interventions ont influencé les populations concernées.
Enfin, ce livre est un bon début pour toute personne qui se penche sur la question des MGF en Iran.
Site de l’auteur : kameelahmady.com
Le documentaire « In the Name of Tradition » peut être visionné ici (sous-titré en anglais).
Plus d’informations sur les MGF dans le Moyen Orient (en anglais) : STOP FGM Middle East