Entretien avec Pauline Ikongho
Nous avons rencontré Pauline Ikongho, infirmière au centre Fedasil de Rixensart et «référente MGF» dans le cadre du projet « Trajectoire MGF » du Fond asile et migration (FAMI). Ce projet, coordonnée par le GAMS Belgique et mené avec l’asbl INTACT, a été mis en place pour assurer une prise en charge adéquate à toutes les femmes demandeuses d’asile concernées par l’excision.
Un long parcours à l’étranger avant d’atterrir dans un centre d’accueil
Pauline a exercé en tant qu’infirmière à l’étranger pendant de nombreuses années. Sa carrière débute au Congo, notamment avec une mission pour la MONUC, la Mission des Nations Unies au Congo. Ensuite, elle passe 3 ans au Timor oriental, aux soins des personnes qui travaillent à l’ONU (Mission des Nations Unies au Timor oriental, UNMIT). Après des années à l’étranger Pauline revient en Belgique où elle s’inscrit en Master en santé publique. Attirée par l’aspect multiculturel elle commence à travailler en centre d’accueil des demandeur.e.s d’asile, d’abord à la Croix Rouge puis dans un Centre FEDASIL.
« J’ai voulu travailler en centre d’accueil car j’aime vraiment les choses à trait avec l’humanitaire et le côté international. L’hôpital ça ne m’intéressait pas beaucoup. Ici j’apprécie le côté multiculturel, travailler avec des gens qui viennent de partout… Ça m’intéresse beaucoup ! »
Un centre actif au niveau social et santé
Le centre d’accueil Rixensart est mixte et a une capacité de 170 résident.e.s. Le public est assez diversifié, pour l’instant y habitent, entre-autres, des Syrien.ne.s, Guinéen.ne.s, quelques femmes somaliennes, des Mauritanien.ne.s ou encore des Erythréen.ne.s…
« Ici à Rixensart on a toute une aile réservée pour les MENA (Mineurs Etrangers Non-Accompagnés), c’est notre spécialité. Et parmi ces MENA-là c’est souvent les jeunes filles enceintes ou des jeunes filles mères…. On a aussi une crèche, avec des puéricultrices, pour les mamans qui accouchent, surtout pour les jeunes qui doivent retourner à l’école. »
Le service médical compte deux infirmières à temps plein. Trois médecins viennent également consulter trois jours par semaine.
« On travaille étroitement avec l’équipe sociale. Au niveau du service médical, on a toujours plein de monde, même quand il n’y a pas de médecins. Les résidents arrivent des différents pays avec chacun une histoire personnelle, différentes raisons qui les poussent à quitter leur pays et divers trajets d’exil. Ils sont souvent à l’écoute de leurs corps et somatisent en exprimant beaucoup de petits – ou grands- problèmes. En plus des problèmes habituels, rencontrés, pour la plupart des gens, on a aussi un grand volet psychologique. Ils réfléchissent beaucoup à leur futur dans un nouveau pays, et doivent faire cohabiter les traumatismes des situations vécues dans leur pays d’origine, les difficultés rencontrées durant leur long trajet jusqu’en Belgique et les doutes pour l’avenir…Le centre n’a pas de psychologues qui travaillent à l’interne mais, on en a deux indépendantes qui viennent consulter une fois par semaine et on travaille également avec des partenaires tels que l’asbl Exil ou SOS Viol… »
« On voit des besoins importants en matière de santé sexuelle dans les centres. On essaye vraiment de faire passer le message de protection, pas d’abstinence parce que les gens ont leur vie et ils choisissent ce qu’ils veulent faire bien sûr. On donne les informations aux résidents, on leur propose des moyens de contraceptions, après ce sont les personnes elles-mêmes qui choisissent. »
Une prise de conscience des conséquences des MGF
Avant de commencer à travailler avec des demandeuses d’asile, Pauline ne connaissait pas la pratique de l’excision. « J’ai dit c’est quoi ça les MGF ? Parce qu’au Congo on a pas d’excision, je n’avais jamais entendu parler de ça… »
Lorsqu’elle a commencé à travailler à la Croix Rouge, à Jette, elle a été confrontée aux problèmes de santé des femmes habitantes ayant vécu des MGF.
« J’ai été sensibilisée au sujet de l’excision au centre de Jette car j’y ai vu beaucoup de femmes qui avaient des problèmes de santé liés à l’excision et aussi des femmes qui se sentaient vraiment mal à cause de l’excision, qui en souffraient beaucoup… Etant la seule infirmière du centre, je me suis dit que c’était un sujet important et que je voulais apprendre plus pour essayer d’aider ces femmes qui ont besoin de soutien et d’aide mais, qui sont en même temps enfermées dans ce qui est considéré comme une norme sociale.»
La « Trajectoire MGF » vue par une référente
Pauline a pu suivre une formation sur les MGF au GAMS, lui permettant d’avoir les connaissances nécessaires pour pouvoir prendre en charge les femmes concernées. Lorsqu’il a été question de choisir une référente MGF à Rixensart, pour le projet mené par le GAMS et FEDASIL, il a ainsi été logique que ce soit elle.
Maintenant, mon regard, ma réflexion et ma prise en charge devant une situation de MGF a changé
« La trajectoire MGF a été mise en place pour aider les femmes demandeuses d’asile, quand elles arrivent, pour qu’elles sachent qu’il y a une prise en charge pour elles, pour tous les problèmes liés à l’excision. Certaines viennent avec des petites filles qui ne sont pas excisées ou qui accouchent en Belgique, il y a un grand travail de prévention à faire à ce niveau. Je trouve ce projet très utile et important. Nous avons une guideline pour tout le monde, « le trajet », tout le monde peut suivre la même démarche, dans tous les centres les femmes sont prises en charge de la même manière. Et même pour celles qui se déplacent et changent de centre, le suivi continue de la même façon. »
Le projet trajectoire MGF prévoit également des intervisions entre référent.e.s afin qu’elles et ils puissent échanger sur les cas et leurs pratiques. Pour Pauline le moment d’échange avec les autres a été vraiment bénéfique. « Il y a eu beaucoup de personnes aux intervisions auxquelles j’ai assisté, tout le monde ou presque répondait présent.e, pour moi ça montre la motivation des référent.e.s et l’importance de ces rencontres.»
Pauline estime que sa manière de prendre en charge les femmes concernées par les MGF a beaucoup changé depuis qu’elle a été formée sur les MGF. « Au début quand, j’ai commencé à la Croix Rouge, si j’avais une femme qui venait par exemple avec des infections urinaires ou vaginales à répétition, je ne pouvais pas savoir que cela pouvait être lié à son excision, surtout qu’elles en parlaient jamais et que j’ignorais le sujet. Maintenant, mon regard, ma réflexion et ma prise en charge devant la même situation a changé ; Je pense à une structure de prise en charge adaptée comme CeMAViE. »
Au niveau du centre Pauline rencontre régulièrement des femmes concernées par les MGF. « Parmi les MENA et les femmes isolées, il y en a beaucoup qui sont guinéennes, et quelques Somaliennes, la majorité a subi l’excision. La carte de prévalence aide pour identifier les personnes qui pourraient être concernées, y compris parmi les communautés à plus faible prévalence. Depuis que je suis là on a accueilli une seule ivoirienne (où le taux de prévalence est entre 25-50%), et elle est excisée. Donc il faut faire vraiment attention même pour ces pays où on dit qu’il y a moindre risque… »
« Aujourd’hui j’aborde facilement le sujet avec les personnes. Par contre, je ne le fais pas dès le jour d’arrivée de la personne. Je trouve que c’est un peu brutal et intrusif de parler d’excision et de sexe car, ça reste des questions très personnelles … Je laisse les personnes s’installer, prendre connaissance et confiance avec le service médical. Deux semaines, trois semaines après alors je les invite à revenir au service pour parler un peu de l’excision, je leur demande ‘qu’est-ce vous pouvez me dire sur votre pays, connaissez-vous la pratique ?’. J’aborde tout doucement le sujet afin d’arriver à poser des questions plus personnelles, ‘et vous, vous êtes excisée?’. S’il y a des enfants je demande aussi si les filles ont été excisées, si les parents voudraient le faire. »
« Cela n’empêche pas que l’excision est une norme sociale très ancrée et que de la déconstruire peut prendre du temps. J’ai l’impression que certaines personnes, bien qu’opposées à la pratique pour leur fille, gardent des réticences par rapport au fait de complètement rejeter l’excision. Par exemple, j’ai rencontré une femme ici, dont l’une des filles, qui n’avaient pas été excisée, avait une incontinence urinaire. Dans la tête de cette mère, influencée par les autres femmes de sa famille et de son pays, sa fille vivait une malédiction parce qu’elle n’était pas excisée. Je me suis demandé comment faire comprendre à cette femme que l’excision n’a rien à voir avec tout ça, et que sa fille a une incontinence parce qu’elle avait surement un autre problème médical ? Si les soins médicaux n’arrivent pas à vite résoudre ce problème, est-ce qu’i n y a pas un risque que cette mère, très instruite et qui est personnellement contre la pratique, essaye d’exciser sa fille pour enlever la malédiction ?
Malgré tout, je suis positivement étonnée parce que je pensais que ça allait être presque un choc pour les patient.e.s d’en discuter, mais c’est plutôt très facile … Dans mon expérience, la plupart des femmes ne se gênent pas de parler de leur excision, d’en discuter, de savoir s’il y a des possibilités de prise en charge, et d’avoir des groupes de parole, une psychologue si elles ont un problème, j’ai vraiment l’impression que ça les soulage en fait … J’ai aussi été contente de voir que trois hommes du Centre ont accepté de participer à un groupe de parole pour hommes contre l’excision…»
Plus d’information sur le projet « Trajectoire MGF » : Les équipes des centres d’asile sont formées sur les MGF