Je suis Jessica Tatout. Je suis partie en 2012 pour un stage, pour l’asbl Aniké, en Guinée, sur le sujet de l’excision. Quand je suis revenue, comme le sujet de l’excision m’intéressait énormément, j’ai cherché à m’engager aussi en Belgique. Et j’ai eu la chance de trouver un poste au GAMS.
Départ pour la Guinée
Je faisais un post-graduat « Noord-Zuid » à Courtrai. Dans le cadre de ces études, je devais faire un stage de 5 mois. Je m’intéresse naturellement aux sujets concernant les enfants et les femmes, beaucoup. Je m’étais déjà bien informée sur les mutilations génitales : j’avais lu des livres, par exemple de Waris Dirie, j’avais vu des films… C’était un sujet qui m’avait beaucoup touchée. C’est une pratique qui nuit beaucoup à la santé, et qui touche surtout les femmes et les enfants. Je voulais vraiment travailler là-dessus. Comme je devais faire un stage, je voulais partir en Afrique et travailler sur ce sujet-là. J’ai donc cherché une organisation qui travaillait sur cette thématique. Je voulais aussi travailler dans une organisation locale. Pas dans une grosse association internationale. Aniké était dans la liste de stage proposé par l’école. C’est comme ça que je suis entrée en contact avec eux. J’ai rencontré Anneke pour la première fois, et j’ai beaucoup apprécié leur façon de travailler. C’est un projet qui collabore directement avec la communauté, qui travaille en fonction des besoins identifiés par la communauté même et en partenariat avec des ONG locales. Ce n’est pas facile à trouver.
Avant, Aniké n’avait pas encore vraiment, concrètement, de projet sur l’excision. Cela se faisait, mais de façon informelle. Quand je suis partie, c’était un peu pour commencer une activité de façon formelle.
Au début, je devais normalement faire le projet à Conakry. Mais comme le partenaire sur place, Félica, avait, à ce moment-là, beaucoup d’autres occupations, il n’était pas possible de développer le projet à Conakry. Donc, via un autre partenaire, j’ai été mise en contact avec Bintou Mady Kaba de l’ONG ASD, qui est à Kankan, à l’intérieur du pays. Je suis partie là-bas pour faire une évaluation de la situation sur l’excision : afin de comprendre pourquoi ça se fait.
En Guinée, il y avait déjà pas mal d’activités, de sensibilisation mais l’excision se fait encore beaucoup, beaucoup. A l’époque la prévalence des mutilations était 95-96% des femmes. Notre étude/évaluation cherchait à comprendre pourquoi ça se faisait encore à ce niveau-là, et surtout comprendre comment les populations voient les activités de lutte contre l’excision. On se disait que comme il y avait déjà beaucoup d’activités sur la problématique, mais que l’excision continue toujours, peut-être qu’il y a un problème dans la façon dont on fait la sensibilisation.
Bintou Mady Kaba et moi-même, nous sommes partis récolter ces informations. On a interviewé tout plein de gens. C’était super intéressant ! On allait dans les villes, on allait parler avec tout le monde : des villageois, des jeunes et des vieux, des professeurs, des médecins, des avocats, vraiment toutes les différentes couches sociales, tous les différents domaines, pour avoir une idée la plus complète possible. Et on a eu vraiment beaucoup, beaucoup d’informations. On a écrit un rapport qu’on a envoyé à Aniké qui l’a apprécié. On a alors écrit un petit projet pilote de sensibilisation des populations. Aniké a décidé de le financer.
Lancement du projet « MGF » avec l’asbl Aniké
En 2012, on a donc fait le projet. Au début, comme c’était un projet pilote, il concernait 3 villages. Et puis, on a vu que ça marchait. Ca marchait bien. On a eu de bons résultats. On avait un très bon contact dans les villages où on travaillait. On avait de très bons échanges.
Aujourd’hui, nous sommes 2 ou 3 ans plus tard et ça continue. Chaque année, on fait une nouvelle campagne et on ajoute deux nouveaux villages. Cette année, en 2014, on va ajouter 2 villages dont Karfamoria, où nous habitons. On se dit qu’on ne peut pas vivre là, faire des projets partout mais que dans notre village-même, ça continue !!! Nous, notre famille, on l’a déjà sensibilisée. Moi aussi, quand j’étais là-bas, je parlais beaucoup avec les sœurs et les femmes de la famille. Parce que comme je les connaissais bien, ce n’était pas difficile d’aborder le sujet. On sait que notre famille ne va plus le faire. Mais on veut toucher tout le village !
Les nouveaux villages sont choisis en collaboration avec la radio rurale, qui est un partenaire très proche. On travaille toujours avec elle. Il faut savoir qu’à Kankan, les médias sont différents. C’est difficile de toucher les gens, comme il n’y a pas d’électricité et tout. Donc, la radio rurale, c’est un peu la connexion : si tu es dans le village, c’est un peu la connexion avec la ville et le reste du monde pour beaucoup de gens. La radio va souvent dans tous les villages pour faire des activités, elle connaît bien le paysage rural… les villages. Et elle a de bons contact avec eux. La Radio Rurale sait ce qu’il se passe dans les villages, et nous conseille de travailler dans tel village parce qu’ils pensent que c’est important de le faire là, dans un premier temps. Au début, on part dans les villages avec les collègues de la Radio, qui nous en facilite l’introduction.
Développement d’une méthode respectueuse et collaborative
Lorsqu’on arrive dans un village, on va d’abord demander la permission aux chefs de village, aux sages de prendre la parole. On leur explique ce qu’on aimerait faire, pourquoi on aimerait le faire et on demande la permission de le faire. Jusque maintenant, tous les villages nous ont donné la permission. Et puis, comme ils ont vu qu’on travaille d’une façon très douce. On dirait que les gens apprécient ça.
Dans tous les villages, ils ont accepté qu’on travaille dessus, qu’on commence à aborder le sujet dans leur village. Et ça, ça nous facilite vraiment le terrain parce que, les sages-là, les gens, vont déjà un peu préparer leur village. Ils nous mettent en contact avec des gens qu’ils pensent vouloir lutter contre l’excision. Donc, ils nous facilitent l’entrée. Et ça aussi, c’est très important : avoir le soutien des sages, des vieux et des vieilles.
Dans chaque village, un comité de bénévoles, chargé de sensibiliser, est créé. Les membres de ces comités sont formés. Ils sont, entre autre, chargés des campagnes de sensibilisation. Durant cette période, les membres recevront un petit per diem pour pouvoir subvenir à leur besoin. La force de ces groupes réside entre autre dans l’engagement de ces personnes et non du gain qu’elles pourraient en tirer.
On fait beaucoup de suivi et d’évaluation. Donc, on apprend à chaque fois. On adapte aussi quand on voit que quelque chose va moins bien ou que les gens ont d’autres idées, on adapte ça, on ajoute. Notre programme est flexible quoi… C’est important de constamment s’adapter aux réalités du terrain.
Les sages ne sont pas contre le fait qu’on lutte contre l’excision ?
Dans les villages où nous on est jusque maintenant, la majorité des sages nous a toujours autorisé à sensibiliser. Beaucoup soutienne même les activités. Leur position est par contre mitigée : il y en a… qui connaissent les problèmes liés à l’excision. On a vu pas mal de gens qui avaient voyagé, qui étaient contre, mais qui disaient « on aurait voulu protéger nos filles, mais la femme a fait l’excision sans qu’on le sache. » Après, il y a un groupe de gens qui sont pour l’excision mais qui sont ouverts, à l’écoute et qui, après un débat, changent d’opinion. Il y a aussi un groupe qui, bien sûr, tient fort à la pratique. C’est plus difficile mais c’est pour cela que le projet est là et que les comités sont sur place. Ils continuent à sensibiliser, à informer. C’est un projet à long terme, cela prend du temps.
Comment les hommes réagissent à vos campagnes ?
On veut les impliquer. On a constaté que les femmes et les hommes ne parlent pas de l’excision entre eux, c’est un sujet tabou. Et donc, les hommes sont parfois contre l’excision, mais les femmes ne le savent pas. Et elles n’osent pas aborder le sujet. On s’est donc dit que si les hommes et les femmes, même si c’est dans le couple, le mari avec sa femme, ils en parlent, ça va déjà aller beaucoup mieux parce que souvent, ils ne savent pas, homme et femme, ce que les uns et les autres pensent. Si on peut en parler, c’est déjà bien !
Donc, on essaie d’engager les hommes et on se rend compte qu’ils sont vraiment motivés. Dans tous les villages, il y en a, des vieux comme des jeunes, qui sont réellement engagés, qui vont sensibiliser autour d’eux, parmi leurs amis mais même, ils se rendent dans d’autres villages pour le faire.
Dans tous les villages, une des premières activités qu’on fait sont les jeux publics avec la Radio Rurale. A Djirlan, la première fois qu’on est venu, un jeune a pris la parole et a chanté contre l’excision. Tout le monde était… nous on était « wahou ! », on avait beaucoup de respect pour lui, parce que c’était un jeune ! Il avait pris la parole comme ça devant tout le monde. On venait d’arriver donc c’était très courageux. Par après, il a eu beaucoup de problèmes avec la communauté. Il avait beaucoup de critiques, même des menaces : « Ah, il ne faut pas parler de ça ! Ca ne te regarde pas ! C’est un truc des femmes ! » Mais ça ne l’a pas découragé. Au contraire, il a continué, il s’est intégré dans le comité, il a continué à parler et tout. Lorsque j’y suis retournée au mois d’août, on l’a revu. Maintenant, il peut parler de l’excision librement, c’est accepté qu’il en parle quoi ! Donc, ça, c’est des choses, quand tu vois ça, ça fait plaisir. Tu vois que ça marche.
Retour en Belgique et début au GAMS…
Revenir ici, ce n’était pas facile. J’aimais beaucoup la Guinée, j’avais un peu en tête de rester là-bas. Mais comme en Guinée il n’y a pas beaucoup de possibilité de travail. Je me suis dit que j’allais revenir, notamment pour terminer mes études.
Le plus important pour moi c’était de pouvoir continuer à m’engager dans ce sujet-là : que ce soit en Guinée, en Belgique ou ailleurs, je voulais vraiment travailler dans ce domaine. Depuis la Belgique, j’ai continué à être active dans l’asbl Aniké. On reste en contact avec la Guinée pour les campagnes.
Quand j’ai été à la recherche d’un travail, je me suis rappelée du GAMS. Et par hasard, j’ai vu le poste vacant. Je me suis dit que c’était idéal : dans mon travail aussi, je pouvais m’engager dans ce domaine là.
Liens entre le travail en Belgique et celui en Guinée
Dans le travail que je fais en Guinée, j’ai appris beaucoup de choses que je peux utiliser ici : mes connaissances de la problématique, de la Guinée, et l’ouverture… Cela m’aide par exemple dans le contact avec les femmes ou avec les hommes qui viennent au GAMS. Mais, à l’inverse ce que j’ai appris au GAMS m’aide aussi en Guinée. Par exemple, quand je suis retournée en Guinée cet été, j’ai emporté tous les outils développés par le GAMS. Je les ai partagés là-bas avec les collègues et avec les comités dans les villages. Ils les ont beaucoup appréciés.
En Belgique, le GAMS fait tout un travail auprès des professionnelLEs de la santé. Tout ça en Guinée ce n’est pas encore beaucoup fait. Donc, à ce niveau-là, ça a beaucoup inspiré nos collègues là-bas. Par exemple, on a donné, le « Guide à l’usage de professions concernées ». Et le Dr Mara, quand il a lu ça, il était super enthousiaste. Vraiment ! Le soir-même, la nuit, il nous appelait pour nous dire « Wouah ! Le livre-là, c’est très riche ! » Et il avait plein d’idées. Et donc après, on l’a rencontré pour une réunion. Et puis, maintenant, on a une nouvelle idée pour un nouveau projet : on aimerait former le personnel de la santé en Guinée. On va chercher un financement pour ça maintenant.
C’est vrai qu’en Guinée, c’est un grand problème : non seulement les professionnelLEs de la santé ne, sont pas toujours assez informés pour soigner les problèmes. Mais en plus, il y en a beaucoup qui font l’excision, qui la pratiquent. L’excision est de plus en plus médicalisée ! Ca, c’est un grand problème. Donc, à côté du projet dans la communauté, on veut aussi former le personnel médical. Et ça aussi, ça va être un grand travail encore.
2014, retour en Guinée après 1.5 an d’absence…
J’étais très positive quand je suis retournée, parce que je voyais que les comités dans les villages sont très engagés. On a aussi été dans les deux nouveaux villages, Dabadou et Tenkelen. Je connaissais déjà Dabadou parce qu’on y avait fait l’étude en 2012. J’étais contente de voir que le projet, la campagne y était maintenant car lors de l’étude, il y avait eu une demande de la population pour les soutenir dans la lutte contre l’excision. L’autre nouveau village, Tenkelen, je l’ai beaucoup aimé car j’ai senti là-bas, quelque chose de spécial: un grand respect envers les femmes. Là-bas, j’aime beaucoup la relation qu’il y a entre les hommes et les femmes. C’est très spécial ! Tu sens que les hommes respectent beaucoup les femmes. Et que les femmes sont vraiment considérées. Ce n’est pas toujours le cas en Guinée.
Dans le futur, on veut mettre davantage les comités des différents villages en contact. Pour qu’il y ait un échange entre eux. Et donc j’espère que c’est un point important que Tenkelen pourra apporter aux autres villages. Ils ont vraiment beaucoup de respect pour les femmes. Tu le vois dans la façon dont ils leur parlent.
Et les villages avec lesquels on avait travaillé en 2012, ça faisait plaisir de voir que ça marche toujours bien, que les personnes sont engagées et que les comités mis en place, ce sont agrandis. Des bonnes relations se sont développées entre les membres des comités et Bintou Mady et ses autres collègues. Ils font vraiment un super travail. En 2012, à Gbéléma, il y avait une dame qui était très très fâchée contre nous parce qu’on venait faire cette activité là. On a voulu parler avec elle, pour savoir pourquoi et pour lui expliquer. Elle a refusé de parler avec nous. Elle nous a mis à la porte de chez elle ! Cette année, on est revenu et j’ai demandé de ses nouvelles. Il parait que cette année, elle a participé aux émissions, avec la radio, contre l’excision. Donc, tu vois que même elle qui était tellement contre nous, elle commence quand même à s’ouvrir un peu. Donc, on voit vraiment une évolution. On voit que les comités font du très bon travail, qu’ils arrivent à aborder les gens et à les convaincre. Bien sûr, ça va prendre encore du temps pour que tout le monde soit convaincu mais, on voit quand même que ça marche et que les gens sont convaincus. Je trouve donc que c’est prometteur pour le futur.