Je m’appelle Silme Nacih, je suis psychologue. Je travaille au centre de planning familial des Femmes Prévoyantes Socialistes (FPS) à Liège. Je travaille principalement sur le projet des Mutilations Génitales Féminines.
De l’intérêt du Centre FPS pour la problématique…
Notre Centre a beaucoup investi dans l’accès à la santé reproductive et sexuelle des femmes et a la particularité d’avoir développé son pôle médical, notamment auprès des femmes enceintes et originaires de pays d’Afrique. Depuis plusieurs années, au contact de nos patientes, nous développons des actions en lien avec les MGF. L’accueil est la pierre angulaire du travail en centre de planning : en effet, il est précieux d’avoir la possibilité d’être reçu, de se poser et de se raconter, sans rendez-vous, gratuitement en toute confidentialité.
L’équipe a été sensibilisée à la problématique et les situations identifiées comme relevant des MGF me sont orientées pour les suivis.
Le projet MGF s’articule aujourd’hui sur plusieurs axes de travail : accueil du public concerné, consultations spécifiques (sociales, médicales et juridiques), accompagnement psychologique, activités de groupe et de sensibilisation auprès du public tout venant, du public concerné et des professionnels-les. Notre centre fait partie du Collectif Liégeois contre les Mutilations Génitales Féminines (CL-MGF) et collabore avec le GAMS.
Concrètement, les patientes arrivent au centre, soit de leur propre initiative, soit sur le conseil de leur assistant-e social-e ou infirmier-e du centre de réfugiés, ou du CPAS dont elles émargent. Elles passent à l’accueil ou prennent un rendez-vous pour une attestation ou un souci gynécologique et/ou psychologique dû à l’excision. C’est la porte d’entrée la plus fréquente.
Ces femmes ont quitté un pays, une famille, des repères dans un but de protection, pour elles-mêmes et/ou pour leurs enfants. Elles se retrouvent en terre inconnue, où il leur est demandé de justifier leur présence sur le territoire belge. Parfois, avant de pouvoir travailler ce qu’il y a de plus profondément inscrit en elles, il faut commencer par se soucier des besoins de bases mis particulièrement en péril par l’exil. Par exemple, les aider à examiner un document administratif reçu par les autorités en la matière, trouver une crèche pour un enfant, des aides alimentaires…
Dans un premier temps, je reçois ces femmes afin de procéder à un accueil, qui consiste en une photographie de la « situation MGF » : identifier ce dont elles ont besoin actuellement, comment elles se situent au niveau émotionnel, physique, au niveau de leur sécurité de base et évaluer leurs ressources.
De plus, nous collaborons depuis peu avec le CHR de la Citadelle à Liège, au sein du service de gynécologie, en proposant une permanence MGF le jeudi matin. L’objectif est d’être au plus proche des demandes spécifiques des femmes concernées.
Ces personnes vues en accueil, au centre ou au CHR, peuvent être épaulées au sein de l’équipe pluridisciplinaire du centre de Planning ou orientées vers un service extérieur pour des consultations psychologiques, l’intégration dans un groupe de parole ou encore la participation aux rencontres thématiques que nous proposons.
Emergence de l’atelier « préparation à la naissance »
De nombreuses femmes enceintes consultent notre Centre.
Au contact des patientes du centre de planning, notamment durant les consultations obstétriques du Dr Kaluanga, nous nous sommes rendu compte que ces femmes ne bénéficiaient d’aucune séance d’information afin d’être préparées au mieux à vivre une grossesse et un accouchement.
La grossesse est un moment particulier qui donne lieu à différents changements physiques, émotionnels et de place dans la famille. Les « MGF » en tant qu’atteinte physique et émotionnelle à l’intégrité des femmes, colorent le vécu et le suivi des femmes. De plus, l’exil entraîne la désaffiliation, la déculturation et la dé-liaison à la fois en termes sociaux et familiaux.
Elles nous partagent, par exemple, des questions sur la péridurale, la « déchirure » pendant l’accouchement, la suture post-accouchement, l’éducation d’un enfant en situation de migration, comment gérer un enfant quand on est esseulée, que ce soit un premier enfant ou le premier accouchement en Europe, la transmission des traditions…
Nous nous saisissons de ce moment pour fixer des balises de prévention en proposant des rencontres thématiques sur la grossesse, l’accouchement et le post-partum. Il nous apparait opportun d’offrir aux femmes concernées, isolées, loin de leur mères ou d’un substitut maternel, en perte de repères, un lieu de rencontre, d’échange avec d’autres femmes aux prises avec la même expérience, en offrant les ressources du groupe. Par exemple, l’une interpelle l’autre: « mais oui, on sait, au pays on ne fait pas ça mais ici vraiment c’est comme ça que ça se passe. Parce que toi c’est la première fois que tu accouches, moi, voilà ce que j’ai vécu… ».
Comment gérer la différence entre les femmes excisées et les autres ?
En préparant l’atelier, nous nous sommes demandé: réserve-t-on cet atelier aux femmes excisées ou l’ouvre-t-on aux autres consultantes du centre?
Finalement, nous avons choisi de l’ouvrir à tout le public qui consulte chez nous. Il apparait que les participantes proviennent toutes de l’Afrique noire pour l’instant, excisées ou non. Les différences sont porteuses, dans un cadre clair et un respect mutuel.
Lors de ces rencontres, les deux sages-femmes et moi-même, partons des représentations des femmes, de leurs peurs, des angoisses qu’elles identifient ainsi que de leurs demandes. C’est une rencontre entre femmes, chaque atelier est différent.
Un des objectifs que nous poursuivons dans ces animations est de déconstruire les fausses représentations qu’elles peuvent avoir. La co-animation prend ici tout son sens. Cela nous permet de remonter en amont d’une croyance erronée tout en clarifiant, en amenant des informations concrètes et médicales. Il est très utile de travailler sur le schéma corporel, la place du bébé dans l’utérus, etc. Sur un mannequin en plastique muni de plusieurs vulves interchangeables (de la vulve intacte à l’infibulation), les femmes peuvent voir réellement le sexe féminin, intact ou non. Par exemple, au dernier atelier, une des participantes distinguait mal la différence entre l’épisiotomie et une excision. Nous avons pu nous appuyer sur cet outil afin qu’elle visualise la différence entre les deux pratiques.
Ce travail s’articule entre le discours des professionnel(le)s et celui des femmes concernées, qui transmettent aux autres participantes leur vécu de grossesse, leurs expériences et réflexions, leur cheminement. Par exemple, une jeune femme semblait être plus que réticente face à la péridurale : une autre femme venant de la même région lui explique : « on ne risque rien avec ça (péridurale), les hôpitaux ici c’est pas les mêmes que chez nous. La sorcellerie elle va rien faire à ton enfant si tu fais de la péridurale »
Quel est le retour des participantes ?
Pour le moment, c’est assez positif. Même si le retour n’est pas immédiat après l’atelier, il peut émerger lors d’un accueil au centre ou en entretien individuel.
Une suite au projet ?
Nous avons développé ces rencontres autour de la grossesse, l’accouchement et le post-partum au départ de l’atelier du GAMS. Nous l’avons ajusté à notre structure et nos pratiques. Ce projet est récent, de même que la collaboration avec le CHR mais la synergie est encourageante.
L’objectif général du projet MGF est de continuer à accueillir, informer, écouter, en offrant un espace, ici, à ces femmes. Un espace de parole, de liberté, de réflexion, d’élaboration dans le non-jugement. Le souhait étant de leur réinsuffler un peu de pouvoir, en tant que femme, mère, fille de.., leur donner du pouvoir en tant que femme dans leur vie.