La présence d’animatrices communautaires du GAMS dans des consultations ONE à Liège remonte à 2010. Nous avons rencontré Marylène Delhaxhe, conseillère pédiatre à l’ONE, pour parler de la collaboration entre les deux organisations, en matière de prévention des mutilations génitales féminines.
Comment avez-vous été amené à vous intéresser au sujet des mutilations génitales féminines ?
« En tant que conseillère pédiatre à l’ONE, j’ai été sensibilisée au risque de MGF chez les petites filles. J’étais aussi membre du Fond Houtman, qui soutient des actions et des recherches-actions pour l’enfance en difficulté en Communauté française de Belgique et qui pendant de nombreuses années a soutenu financièrement le travail du GAMS. J’ai eu l’occasion de représenter l’ONE dans différentes rencontres pour la mise en place du réseau des Stratégies Concertées MGF, ainsi que dans la réalisation d’outils et de formations pour les professionnels. »
Un partenariat innovant se met en place
Afin d’améliorer le travail de prévention des MGF au sein des consultations pour enfants de Liège, il a été décidé de commun accord, dès 2010, d’expérimenter une collaboration au sein même des consultations ONE. Pour ce faire l’ONE a effectué un relevé des consultations fréquentées par ce public spécifique à Liège, c’est-à-dire le nombre d’enfants (0-6 ans) , le nombre de filles( 0-6 ans) et le nombre de familles qui, en fonction de la nationalité d’origine de la mère, venaient d’un pays à risque.
L’enquête a montré que 4 consultations dans la région de Liège étaient fréquentées de façon importante par le public cible. La consultation de Sainte-Marguerite, était alors la plus concernée puisqu’elle recense 89 familles des pays à risque. La consultation de Feronstrée où le Dr Delhaxhe travaille rassemble aussi des publics venant des pays d’Afrique où les MGF sont pratiquées.
« C’est suite à cet état des lieux qu’on a mis en place une collaboration entre ces deux consultations ONE et le GAMS. Une animatrice communautaire du GAMS a été invitée à participer à certaines consultations médicales afin de discuter avec des femmes et des familles dans la salle d’attente. On provoquait en quelque sorte la rencontre entre les familles, originaires de pays où l’excision se pratique, et l’animatrice, qui connaissait le contexte culturel africain et qui pouvait aborder le sujet plus facilement. S’il y avait une envie d’aller plus en profondeur sur le sujet des MGF il y avait une salle séparée qui était mise à disposition pour un entretien. »
« J’ai senti que pour les familles, pour les mamans surtout, c’était vraiment un contact important, ça leur permettait de sortir de leur isolement, en tant que personnes migrantes, et de parler de manière franche avec une personne qui comprenait leur situation. »
Un moment opportun pour aborder l’excision
« Ce n’est pas toujours facile d’organiser des activités en parallèle avec les consultations médicales. Les TMS ont plutôt l’habitude d’organiser des séances collectives en dehors des séances de consultations… L’avantage de ce modèle est que les parents n’ont pas besoin de se déplacer deux fois puisqu’ils viennent de toute façon pour la consultation médicale. Et puis, si on organisait une séance à part sur ce sujet, l’excision, je ne pense pas que les personnes viendraient. En fait, les consultations médicales sont des moments opportuns…. »
« Le fait que ce sujet soit abordé par des animatrices communautaires du GAMS, et aussi par le médecin et le travailleur médicosocial de l’ONE, est très important. La prévention est renforcée quand le discours est accompagné par des personnes qui comprennent la problématique, et l’ont parfois vécu elles-mêmes. Un jour on pourrait peut-être imaginer ce genre de collaboration sur d’autres thématiques, de faire appel à des ‘experts du vécu’ »
En plus de la problématique de l’excision, la présence des animatrices communautaires permet aussi aux femmes migrantes d’aborder d’autres questions culturelles voire de sujets sensibles tels que la violence conjugale ou l’isolement.
« Je vois un grand besoin de contacts chez certaines femmes migrantes qui sont isolées de leur famille et qui vivent des situations vraiment difficiles. Les activités faites par le GAMS sont importantes pour leur permettre d’en parler. C’est crucial que ces femmes puissent avoir un soutien et assister aux autres activités proposées par le GAMS. »
Abordez-vous facilement le sujet des MGF avec les familles ?
« Oui, pour moi cela ne me parait pas difficile. Dans ma consultation, la TMS a souvent déjà abordé le sujet à domicile, donc les parents s’y attendent. Je leur demande ‘Est-ce qu’il y a encore beaucoup de tradition d’excision (de coupure) pour les petites filles dans votre famille au pays ?’ »
« Ceci dit, parfois j’ai un doute sur le fait que tout soit dit quand le TMS ou moi abordons le sujet. C’est pourquoi la présence d’une animatrice communautaire du GAMS est importante. Je suis vraiment positive vis-à-vis du travail mis en place avec elles. »
Avez-vous l’impression que le sujet des MGF est généralement bien intégré au sein de l’ONE ?
« Oui, je pense qu’au niveau de l’ONE il y a une réelle reconnaissance de la nécessité d’aborder le sujet des MGF. Cela ne veut pas pour autant dire que c’est facile à mettre en place ! Les travailleurs médico-sociaux (TMS) et les médecins ont eu des informations, mais ne sont pas confrontés régulièrement aux publics concernés et il y a un grand nombre de sujets à aborder en consultation pour enfants. »
« Il y a encore du travail, c’est sûr, c’est pareil dans tous les domaines de prévention. Il faut se rappeler qu’en tant que médecin on voit en général 5 enfants/heure, soit 12minutes par enfant… Ce n’est pas beaucoup pour tout faire et tout aborder !»
L’année dernière Dr Delhaxhe a refait un relevé sur les populations concernées par les MGF dans les consultations ONE de la région liégeoise. 40 consultations ont répondu au questionnaire.
« Malheureusement toutes les consultations n’ont pas répondu à ce relevé. Ceci dit, nous savons qu’au moins 199 familles suivies à l’ONE viennent d’un pays concerné par les MGF et que cela correspond à 391 enfants. 27 consultations sont concernées dont 18 avec un nombre d’enfants suffisant pour collaborer avec une animatrice communautaire. »
« On a aussi cherché à savoir si les consultations avaient des outils sur les MGF. Normalement il devrait y avoir un kit et un guide professionnel dans chaque consultation mais l’enquête montre que cela n’est pas encore le cas… »
Normalement il devrait y avoir un kit et un guide professionnel dans chaque consultation mais l’enquête montre que cela n’est pas encore le cas…
Selon vous, qu’est-ce qui a changé depuis le début de cette collaboration ?
«Les parents semblent plus informés qu’avant sur l’aspect légal et l’interdiction de cette pratique. Ceux et celles qui sont passés dans un centre de demandeurs d’asile connaissent déjà le GAMS. Les autres, qui sont venus par regroupement familial par exemple, ne connaissent pas forcément… Aujourd’hui je ne rencontre que des parents qui disent ‘oui, ça se fait chez nous, mais moi non, pas question’. J’ai l’impression de ne pas devoir faire autant de sensibilisation. Mais le risque lors d’un retour au pays existe toujours bel et bien. Je connais plusieurs familles qui ont choisi de ne pas voyager dans leur pays d’origine avec leurs filles à cause de la pression de la part de leur famille ou de leur communauté. Personnellement ça me rassure de savoir qu’il y aura un suivi de la part du GAMS, que si la famille décide de retourner avec l’enfant, même dans quelques années, on sait que le GAMS pourra être là pour conseiller les parents. »
Les parents sont plus informés qu’avant sur l’aspect légal et l’interdiction de cette pratique. Le risque lors d’un retour au pays existe toujours bel et bien et ça me rassure de savoir qu’il y aura un suivi de la part du GAMS.
Les perspectives
Depuis fin 2017 le GAMS a bénéficié d’une subvention pour renforcer le travail de sensibilisation des MGF dans les consultations ONE de la région Wallonne (avec un focus sur Liège) et Bruxelles. L’objectif général est de prévenir l’excision chez les petites filles à risque à travers une sensibilisation des parents ou futurs parents lors des consultations ONE (prénatales et enfants) de la Fédération Wallonie Bruxelles. De plus, le projet vise également à sensibiliser les parents et le personnel des milieux d’accueil (MILAC) et à soutenir le travail des PSE en matière de prévention des MGF (formation de référent MGF, partenariat pour les séances EVRAS,…). Pour cela, deux animatrices communautaires ont été embauchées.
« Pour moi c’est vraiment très positif. Je pense en effet qu’il faut élargir cette expérience à d’autres consultations ONE de Liège et à d’autres sub-régions concernées, comme Bruxelles. J’espère que les consultations ONE en relation avec le public spécifique vont réaliser l’intérêt de cette collaboration avec les animatrices du GAMS »
Texte et photos : Stéphanie Florquin
A lire également sur ce sujet : Article du Soir « Contre l’excision, les associations prônent la médiation culturelle »
Félicitations aux auteures de cet article et au Dr Me Delaxhe pour sa prestation claire et précise. Beaucoup de travail reste à faire mais l’avancée est magnifique depuis quelques toutes petites années, seulement.
Il faut que la sensibilisation soit permanente, devienne « automatique » ainsi que la disponibilité des collaboratrices (-teurs) de l’ONE inclue dans leurs gestes, le repérage des fillettes et des familles « à risque » ainsi que celui des éventuels déplacements programmés (vacances mais aussi fêtes familiales religieuses ou non). L’examen clinique de l’enfant doit inclure l’enlèvement du lange ou du sous-vêtement !!
La disponibilité des kits, patiemment mis au point par les équipes du GAMS et de INTACT est réelle: il faut les demander au service médical de la Ville de Liège: plus de 3/4 des kits n’ont pas été distribués et risquent de se détériorer d’une façon ou d’une autre !!.
Bon courage,
Très cordialement,
Dr LAMOTTE Paul-Jacques, Pédiatre et membre du CA de INTACT.