Natalie Kontoulis est chargée de communication et de plaidoyer au réseau européen END FGM European Network. Elle a auparavant travaillé sur les questions de politique européenne pour le gouvernement britannique et en tant que traductrice pour la Commission européenne.
« J’ai réalisé que je voulais travailler sur les questions de Droits humains et de genre. Les MGF est un sujet qui m’intéressait vraiment, j’en suis devenue très passionnée car je le voyais comme une forme extrême de la violence basée sur le genre. Sur le plan plus personnel, j’avais un petit-ami de Guinée. On n’avait jamais parlé des MGF. »
Un jour Natalie et son copain vont au cinéma pour voir “Fleur du désert”. Quand ils sont sorti de la séance son ami était bouleversé. « Je lui ai demandé si ça allait, il m’a raconté que sa mère et ses sœurs avaient subi une MGF. Il avait su que sa sœur ainée avait eu des complications mais il n’avait pas encore réalisé à quel point c’était grave, que les MGF causaient de nombreux problèmes de santé ainsi que des traumas. C’était un moment très difficile pour lui. Je pense qu’il se sentait coupable de ne pas avoir réalisé la portée du problème et impuissant parce qu’il ne pouvait rien y faire. »
« C’était aussi une révélation pour moi de réaliser que l’on peut vivre une vie très « européenne », continentale, et être touchéE par les MGF sans le savoir. Cette expérience personnelle m’a fait réaliser à quel point il est important que tout le monde connaisse les MGF. »
« Mon ex a maintenant une fille. Je lui ai posé la question des MGF et il m’a répondu qu‘elle ne le subira jamais’. C’est un peu difficile pour lui d’avoir un impact en Guinée, parce qu’il est tellement loin…. Certaines personnes lui disent ‘tu vis à l’étranger, tu as été endoctriné, on ne t’écoute pas…’ «
Comment te positionnes-tu personnellement dans le travail contre les MGF ?
« En tant qu’européenne blanche je n’irai pas dans une communauté pour essayer de changer l’avis de quelqu’unE, ou travailler directement pour changer l’avis de quelqu’unE, je pense que c’est bien plus approprié, et plus efficace et pertinent pour une personne de la communauté d’essayer de changer les opinions. Ceci dit, je pense que chacunE peut jouer un rôle et dire ‘c’est une violation des droits humains, je m’y oppose’. Je pense que c’est très important de voir cela comme une question de droits humains et non pas une question culturelle, même si la culture y a aussi une grande importance bien sûr. Nous devons touTEs agir contre les MGF et essayer de faire quelque chose. Nous n’allons simplement pas touTEs le faire de la même façon. Si c’est approprié pour moi de faire du travail de plaidoyer au niveau national ou européen, ou de former des professionnelLEs, c’est approprié pour une autre personne de travailler au sein de leurs communautés pour encourager un changement. »
Un réseau né d’une campagne
Le réseau END FGM European network est né de la campagne “End FGM”, qui a été menée entre 2009 et 2014. Natalie a rejoint la champagne en 2014, d’abord en tant que stagiaire et ensuite en tant que chargée de communication.
« Quand la champagne a été lancée l’objectif principal était d’intégrer les MGF dans l’agenda politique européen. L’intérêt auprès des décideurs était au plus bas à ce moment-là donc on devait arriver à mettre ce sujet sur l’agenda politique et promouvoir une approche intégrée de l’égalité entre les genres (le « gender mainstreaming ») ainsi que et du ‘mainstreaming’ des questions de violence de genre dans la politique européenne, et dans ce cadre-là, arriver à intégrer les MGF dans les questions de violences de genre. »
La campagne fut très efficace. La Commission européenne a publié un plan d’action spécifique sur les MGF en 2013, les MGF ont été inclus dans la Directive des victimes, dans les Directives d’Asile de l’Union européenne, ainsi que dans la Convention d’Instanbul…
Quand la Campagne s’est terminée, 11 des 15 organisations partenaires ont décidé de continuer le travail au sein d’un réseau. C’est ainsi qu’est né le réseau END FGM European Network en janvier 2015. Aujourd’hui le réseau compte 15 organisations membres dans 11 pays. « Les membres sont très diversifiés : de très petites associations qui travaillent directement avec les professionnelLEs, des associations communautaires basées uniquement sur du travail bénévole, des organisations spécialisées sur les questions de développement international…. Nos membres travaillent au quotidien avec les communautés concernées ainsi qu’avec du plaidoyer. »
Le Bureau du réseau compte six membres, éparpillés partout en Europe, ainsi qu’un siège, à Bruxelles, avec trois salariéEs et une stagiaire.
« Le réseau est vraiment le bébé des membres fondateurs. Les salariéEs sont responsables du planning et de la stratégie mais les membres ont toujours une part active là-dedans, nous représentons leurs besoins et elles/ils savent mieux que tout le monde ce qui est mieux pour les personnes concernées par les MGF. »
Une approche holistique mettant l’accent sur la prévention et la protection
Le réseau END FGM adopte une approche holistique des MGF en tant que violence de genre. « Nous pensons que les MGF doivent être intégrées (« mainstreamed ») en tant que violation des Droits humains et violence de genre. Il est primordial que les MGF soient vues comme faisant partie du spectre de violations et de discriminations des Droits humains auxquels font face les femmes et les filles. Il s’agit d’un type de violence de genre. Aussi, les MGF ont lieu en Europe et dans plusieurs parties du monde, ce n’est pas un ‘problème africain’. Les MGF doivent être intégrées dans le système d’éducation, de formation professionnelle, y compris dans celle des travailleurEs de l’asile. »
Au sein du réseau, l’accent est mis sur la Prévention, la Protection et les Politiques intégrées. « Le quatrième P de la Convention d’Istanbul, la Persécution, fait aussi partie de notre travail, mais nous mettons l’accent sur la protection car lorsque nous arrivons à la persécution nous avons déjà échoué… c’est vraiment un dernier recours. Cela dit, il y a également des barrières à la persécution qui doivent être brisées. »
« Cela peut être un énorme défi d’arriver à faire comprendre aux gens pourquoi la persécution n’est pas notre stratégie principale. Pour certains acteurs la persécution leur permet de se sentir actifs, ils font quelque chose. Le défi est d’expliquer que les MGF sont complexes et que la persécution peut entrainer une stigmatisation secondaire. Les solutions que nous prônons incluent des formations sur le long-terme, des financements sur le long-terme, un travail de long-terme….ce n’est pas toujours vendeur car l’on ne voit pas les résultats tout de suite et l’une des difficultés avec les MGF est qu’il est difficile de présenter des résultats concrets. »
Quels sont les objectifs et activités principales du réseau END FGM ?
« Aujourd’hui les MGF sont intégrées sur l’agenda politique européen. Le rôle du réseau est de les y maintenir. Pour l’instant il se passe beaucoup de choses au niveau européen. Avec la crise migratoire et la crise financière il y a une grande pression en faveur des restrictions budgétaires, l’accent est mis sur les questions relatives à l’emploi et à la finance, et moins sur les Droits humains et les droits sociaux de manière générale. C’est un défi pour nous de maintenir les violences de genre et les MGF à l’ordre du jour. La crise de l’asile fait qu’il est encore plus important qu’auparavant d’intégrer les questions relatives aux violences de genre dans les politiques… On essaye aussi d’intégrer les MGF dans les discussions relatives aux Objectifs de Développement Durable (ODD). »
« En tant que réseau nous sommes le porte parole de nos organisations membres au niveau européen. Nous travaillons directement pour entrainer du changement au sein des institutions européennes et internationales telles que la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil des ministres, le Conseil d’Europe, l’UNHCR, UN Women… On essaye de faire en sorte que les MGF soient inclues dans les décisions politiques et document clés. On doit également s’assurer que les conventions et directives sont réellement implémentées et transcrits en services nationaux et en législation. Que les promesses soient tenues. »
« On essaye de renforcer les capacités de nos membres, de nous adapter à leurs besoins et demandes. Notre travail est de les aider à comprendre ce qui se passe au niveau européen et l’importance de cela au niveau national. Ils peuvent ainsi demander des services appropriés à leurs gouvernements. C’est un défi parce que nos membres sont très divers et certains ont des ressources limitées. On essaye aussi de les aider à communiquer sur leur travail car ils sont nombreux à faire un travail génial mais à ne pas prendre le temps de communiquer dessus. »
Le réseau publie différents outils et guides. Il vient de publier un guide sur la Convention d’Istanbul et est actuellement en train de rédiger un autre guide sur la Directive des droits des victimes (Victims’ Rights Directive) et la directive de l’UE relative à l’asile, afin d’expliquer comment ces textes législatifs peuvent être utilisés comme outils pour combattre les MGF. Le réseau organise également des conférences et des évènements. Récemment, le réseau END FGM a organisé une conférence sur l’intérêt supérieur de l’enfant en relation avec les cas de MGF. « Nous réfléchissons sur l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’est-ce que cela implique ? Par exemple en relation à la persécution. C’est très difficile. Ce qui pourrait être dans l’intérêt supérieur d’un enfant ne sera pas nécessairement l’intérêt supérieur de tous les enfants qui suivront…. Quelle sera alors notre priorité ? »
« Une autre de nos activités principales est de faire en sorte que les professionnelLEs soient bien forméEs, que ce soit des professeurEs, des professionnelLEs du corps médical, des travailleur-euses sociaux… Nous avons ainsi besoin de liens forts avec les organisations professionnelles. Nous leur demandons d’intégrer l’approche genre, et plus spécifiquement les questions de violences de genre, dans leurs formations. Nous les soutenons dans cette démarche et les aidons à se mettre en réseau. Les professionnelLEs sont encore hesitantEs quand il s’agit de signaler les cas de MGF. Je pense qu’ils ont un peu peur de les signaler car ils ont tendance à penser que ce n’est pas leur rôle, qu’ils ne comprennent pas les MGF, comme s’ils auraient peur que ce soit raciste de s’en préoccuper…. C’est primordial qu’ils soient bien formés afin d’être soutenus dans ce processus. »
Quels sont les principaux défis du réseau aujourd’hui ?
« L’obtention de financements adéquats et de long-terme est un réel défi. Les MGF sont une problématique internationale, nous réfléchissons à comment travailler avec les communautés des diasporas en Europe et avec les communautés partout dans le monde. Le problème est que les fonds européens sont octroyés soit pour des questions internes à l’UE soit pour des questions externes à l’UE. Nous plaidons pour la nécessité de travailler de manière inter-continentale et d’adapter les procédures de financement aux réalités du terrain. »
« Un défi dans notre travail de plaidoyer est d’assurer des partenariats privilégiés avec tous les principaux partis politiques en Europe, car les MGF ne sont pas une question d’un parti politique mais une violation des droits humains. Lorsque l’on est limité en terme de temps et de ressources financières il peut parfois être difficile de ne pas travailler uniquement avec ceux qui sont déjà impliqués mais d’aborder également ceux qui n’ont pas encore compris la problématique. »
« Une autre problématique à l’ordre du jour est le contrecoup à l’égard des questions d’asile et de migration. Les MGF se retrouvent liées à ces questions, ce qui peut être une opportunité dans la mesure ou non pouvons souligner l’importance d’avoir une approche d’asile sensible aux questions de genre, des enfants et de culture. Mais c’est aussi une grande menace car faire le lien entre les MGF et l’asile peut avoir un effet négatif pour les personnes concernées par les MGF. Nous voyons que d’autres types de violences de genre se retrouvent masquées par certaines violences qui concernent les populations migrantes particulièrement, dont les MGF. Certains politiciens instrumentalisent ces questions et ils ont tendance à « oublier » que toutes les femmes font face à des violences de genre…. «
« L’un de nos objectifs principaux est de promouvoir l’empowerment des femmes et des filles, et des communautés en général. Par exemple, nous essayons d’utiliser un langage émancipatoire, non-stigmatisant. C’est un défi quand nous travaillons avec certains partenaires. Nous essayons de leur expliquer pourquoi des termes tels que ‘barbare’ est stigmatisant et excluant… «
Faire le lien entre les MGF et d’autres questions de SDSR
« Parfois les MGFs peuvent être une question politiquement plus ‘facile’ à traiter que d’autres questions relatives à la santé et aux droits sexuels et reproductifs (SDSR). Une question de base telle que la santé sexuelle et reproductive… Travailler sur l’avortement peut par exemple être extrêmement difficile aujourd’hui. »
« Un autre exemple, qui est fortement lié aux MGF , est la question des discriminations et des mutilations génitales auxquelles font face les personnes intersexes. Il commence à y avoir un changement politique sur ce sujet mais il reste encore énormément de travail. Les droits des personnes intersexes est une question d’intégrité corporelle et je pense qu’il y a un potentiel pour travailler avec les associations spécialisées afin de soulever cette question de manière plus globale. »
« Étrangement, je pense qu’il est plus facile et moins controversé de faire le lien entre les MGF et les violations dont font face les personnes intersexes que par exemple la circoncision masuline…. Il y a plusieurs raisons pour cela : les expertEs et les ONG travaillant sur la circoncision ne sont pas toujours d’accord, le lien avec les grandes religions monothéistes, le manque de recherche… C’est pourquoi il est souvent plus difficile d’avoir une adhésion politique sur cette question que sur d’autres sujets. »
Quelles sont les perspectives du réseau en 2016?
« Notre thématique pour 2016 est l’asile : nous allons mettre l’accent sur les questions d’un système d’asile sensible aux questions de genre, des enfants et des cultures. Nous allons aussi mettre en avant la formation des professionnelLEs et l’élaboration d’une méthodologie commune pour la récolte de données dans tous les Etats membres. »
En 2016 le réseau prévoit de publier deux guides : l’un sur la Directive des droits des victimes et l’autre sur les directives relatives à l’asile en tant qu’outils pour abolir les MGF. Il va aussi rédiger un document sur l’usage éthique de la langue qui sera utile pour les médias et d’autres organisations.
Le réseau END FGM fait partie du projet de Plateforme END FGM (UE FGM) dont le but est de mettre à disposition un outil pour les professionnelLEs de tout secteur. Le réseau est responsable de l’élaboration d’un module pour les médias ainsi que pour la diffusion générale de tous les modules. Deux asbl belges, le GAMS Belgique et INTACT, sont également partenaires de ce projet. Ensemble, elles développent un module spécifique pour la Belgique. En outre, le GAMS Belgique est responsable de deux modules sur la santé alors qu’INTACT est responsable de deux modules sur les questions légales.
« Nous voulons continuer à établir des liens, à travailler avec des professionnelLEs, les diasporas, les communautés concernées… Le rapport qui vient d’être publié par UNICEF est extrêmement utile car il montre ce que nous savions déjà ; les MGF sont partout. Cela n’arrive pas qu’à ‘une autre communauté’, çela arrive partout, y compris en Europe. Nous sommes touTEs concernéEs. »