Projets MGF menés à l’ONE de quartier Sainte-Marguerite à Liège

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Jasmina Topic est assistante sociale de formation. Elle travaille depuis 2008 à l’ONE de Liège, en tant que travailleuse-médico-sociale (TMS). Depuis juin 2013, elle a un horaire complet à l’ONE.  

De la naissance du projet…

Cela fait maintenant 3 ans qu’on travaille plus particulièrement sur la thématique de l’excision, parce qu’on s’est rendu compte qu’on avait beaucoup de familles qui venaient des pays à risque. On a plus de 90 familles dans notre consultation enfants à Ste-Marguerite.

Le projet est arrivé via Mme Delhaxhe, conseillère pédiatre de l’ONE à Liège. Mme Delhaxhe sensibilisée par le GAMS Belgique à la problématique a lancé une enquête au sein des consultations de quartier de l’ONE de Liège pour déterminer : le nombre d’enfants de moins de 6 ans, dont la mère est originaire d’un pays à risque ; le nombre de fille de moins de 6 ans dont la mère est originaire d’un pays à risque ; le nombre de familles qui viennent d’un pays à risque (en fonction de la nationalité d’origine de la mère). Suite à cette enquête, 4 consultations sur Liège sont sorties du lot, dont la consultation de Saint-Marguerite [1].

A Ste-Marguerite, plus de 10% de notre population venait des pays à risque. Avant de commencer on a participé aux formations du GAMS. C’est un sujet qui est un peu plus difficile à aborder au départ, mais quand on se rend compte de ce que cela apporte aux gens, et bien on en parle de plus en plus facilement. Le projet a commencé en 2010, avec Samia [2]. Elle venait en consultation tous les jeudis [3]. On le faisait avec le docteur, Samia et moi-même. Mais cela prenait trop de temps. Nous – le docteur et moi-même – on ne voulait pas avoir tout le contenu de ce qui se disait de la part des familles, pour ne pas qu’elles pensent que notre regard allait changer sur elles, en fonction de ce qui était dit. Par la suite, on a procédé d’une autre façon : Samia est allée dans un local séparé, où cela se passait en toute confidentialité. Ensuite, nous discutions de l’entretien. Ça, c’était les premières étapes. Puis ensuite, c’est Zahra et Ramata du GAMS qui ont pris le relais. Et là, c’était tous les jeudis du mois. Le gros problème qu’on a eu, c’est qu’on s’est rendu compte que ces consultations étaient principalement des consultations de mères excisées. On ne voulait pas que ce soit une consultation un peu « ghetto ».

… à la nécessité de faire quelques ajustements

Au début, si on ne parlait que du GAMS, les familles n’allaient pas venir. C’est pour ça qu’on a mis le GAMS en même temps que leur consultation : on mettait les consultations de toutes les mamans qui devaient être vues par le GAMS, le jeudi. Ce qui fait que sur, peut-être, 15 mamans qui devaient rencontrer les médecins, le jeudi après-midi, on en avait 10 ou 12 qui étaient excisées. J’ai eu parfois un retour de certaines mamans, dont une plus particulièrement qui m’a dit : « Moi, je croyais que mon enfant allait être le seul métisse – c’était une maman d’origine italienne qui était avec un monsieur d’origine indienne –, en fin de compte, c’est lui le Blanc de la consultation ! »

A partir de ce moment-là, on s’est dit qu’on allait trouver d’autres pistes. Jusque-là, on changeait les mamans de consultation, on les changeait de médecin pour que le GAMS puisse les rencontrer. Suite à la réflexion de cette mère, on s’est dit qu’il fallait qu’on trouve une autre solution. Nous avons décidé de ne plus changer les mères mais de changer le jour des permanences du GAMS.

Au début, on fonctionnait sur base d’une liste. On disait au GAMS : il y a certaines personnes qu’on va vous présenter. Maintenant, Halimatou [animatrice communautaire au GAMS],  se présente dans la salle d’attente où elle aborde le sujet avec les différentes mères qui s’y trouvent. D’autres personnes écoutent donc ce qui se passe et elles entendent les explications.

A ce jour, nous maintenons deux consultations bimensuelles dans le but de continuer la présentation du GAMS et de revoir les familles plus sensibles. Des entretiens se poursuivent avec les familles pour lesquelles il y a peut-être un risque : où les parents disent qu’ils veulent exciser l’enfant. Certaines familles participent également aux activités du CL-MGF (Planning Louise Michel).

L’identification des familles à risque

Ce qui se passe, c’est que quand je reçois l’avis de naissance, je décrypte tout de suite l’origine des parents. On a à chaque fois l’origine des parents. Et donc, j’ai l’occasion d’en parler à domicile et ça a toujours été bien accueilli. Donc, si j’avais senti des réticences, j’aurais peut-être présenté cela d’une autre manière ou j’aurais essayé d’arrondir les angles. Mais là, ça a toujours été bien accueilli. Il y a des parents à qui je n’ai pas eu l’occasion de présenter le projet quand l’enfant est né, parce qu’il est plus grand, et là, ils sont mis au courant pendant la consultation qu’on a ce projet-là et qu’ils peuvent rencontrer les animatrices communautaires du GAMS. Ils ne sont pas obligés. On ne met pas une obligation. Mais la plupart du temps, ils passent les rencontrer.

L’expérience des activités collectives

Il y a d’abord eu les entretiens individuels. Et puis, je me suis rendue compte que ces entretiens étaient très bien mais que ce serait intéressant que ces mères puissent se rencontrer et parler elles-mêmes de leurs difficultés, pas que de l’excision.

J’entends souvent dans leur discours « on se sent seule ». Je me suis dit que, le fait de rencontrer d’autres mamans, de parler de différents sujets, cela pouvait créer des liens. Ainsi, même dans la rue, elles savent qui est l’autre et elles peuvent discuter entre elles de ces sujets-là.

Dans ces activités collectives, l’intervenante [4] n’est là que pour encadrer, inviter, pour créer le lien et après, c’est à elles d’exprimer ce qu’elles ont envie.

La première activité collective a pu voir le jour parce que je suis passée à temps plein. La première activité a plus porté sur leur parcours migratoire : est-ce qu’elles ont des questions ? Qu’est-ce qui les a étonnées en arrivant, ici, en Belgique ? Quelles ont été leurs difficultés ? Et puis, on a utilisé le mannequin. On a montré les différentes sortes d’excision. Là, elles ont pu s’exprimer sur ce qu’elles, elles avaient. Sur ce qu’elles pensaient par rapport à leur(s) fille(s) : si elles pensaient le faire ou pas. Et puis, on a eu une comparaison où il y avait une image des Blancs aussi qui était très paradoxale : où, pour elles, le clitoris, est à l’extérieur. Donc, à un moment donné, elles m’ont demandé : « ben, levez-vous, qu’on regarde si votre clitoris il sort. » Donc, elles pensaient que le clitoris dépassait de plusieurs centimètres et pour elles, c’est impur et donc il fallait le faire rentrer. C’est pour ça qu’on les excisait. La deuxième activité de groupe, c’était sur la thématique de l’excision. On a passé des vidéos : comment est-ce que cela se passe au Sénégal ? Le but était de leur montrer qu’il y a des changements qui se produisent et que ce sont elles aussi qui sont les actrices du changement, par rapport à leur(s) fille(s). Là, elles ont expliqué qu’elles entendent bien le message, qu’elles  savent que c’est mauvais pour les enfants mais que c’est difficile de faire passer le message en Afrique. Elles ont donc cherché des pistes entre elles : comment est-ce qu’on peut faire ? Comment faire avancer les choses ?

Une dame a réussi à le faire entendre à sa famille parce qu’ils ont vu le mal que cela engendrait. Mais c’est souvent la belle-famille qui est un peu plus difficile à convaincre. Une maman a dit qu’elle sonne toutes les semaines, à la belle-famille, pour leur rappeler que c’est interdit en Belgique. Elle rappelle toujours la loi – Toutes les informations que nous, on leur donne au départ, elles les transmettent – Elle rappelle la loi et dit qu’elle n’ira pas au pays tant que le message n’est pas clair et tant qu’ils ne sont pas sûrs que l’enfant ne sera pas excisée.

Sincèrement, ça donne super bien ces activités-là. La dernière activité estivale, je voulais la clôturer en faisant une fête africaine. Elles ont ramené des plats de leur pays, on a mangé. On a parlé des techniques de portage, des massages. On a vu comment on fait des massages en Guinée, au Ghana, au Niger,… Elles ont pu s’exprimer sur les manières de masser leurs enfants, de les porter, qui sont différentes au sein même de l’Afrique. On a parlé de l’excision. Et puis, on a parlé de l’éducation qu’elles donnent à leurs enfants : est-ce important de parler la langue maternelle à la maison ou pas ? Quels sont les avantages ? Quels sont les inconvénients ? Elles ont pu s’exprimer là-dessus.

C’est un grand groupe et cela demande de l’énergie et de la préparation. La dernière fois, on était 4 intervenantes différentes, de différents services. On se relaie : quand l’une s’occupe plus de quelque chose, et bien l’autre s’occupe d’autre chose. Heureusement, car toute seule, ce n’est pas possible. C’est important d’avoir des partenariats et de mettre des choses en place. Et plus, je me dis que plus on crée des partenariats et plus la population a des personnes de contacts.

Il y a encore une dernière activité prévue au mois d’octobre sur le corps de la femme, la sexualité et les moyens de prévention pour ne pas tomber enceinte, etc. Là, j’ai sciemment fait appel à un autre Planning Familial que le Collectif – Louise Michel ou le FPS –, comme ça, elles ont d’autres références. Elles peuvent voir d’autres personnes avec d’autres diplômes – une sexologue, par exemple. Si elles ont besoin d’autres conseils, elles peuvent aller là. Mon travail, quelque part, est de faire le lien entre la population qui fréquente l’ONE et les professionnels.

Un enrichissement mutuel

Lors de la 3ème activité, elles m’ont parlé d’une situation : « La TMS de l’ONE est arrivée à la maison et m’a demandé combien de fois j’allaitais ?! Mais qu’est-ce que j’en sais ?! » C’était une question qui leur paraissait complètement bête ! Pour elles, l’allaitement est naturel. Ces échanges me permettent aussi d’avoir un écho sur ce qu’elles pensent. Je me dis que la prochaine fois que j’aborderai une mère d’origine africaine, je ne lui demanderai pas : « Et vous allaitez tous les combien de temps ? » (Rire). Je poserai mes questions d’une autre manière.

Comment faire passer l’information ?

Lors des visites à domicile je demande aux parents s’ils sont d’accord de participer à des activités collectives. Les mamans me disent qu’elles aimeraient bien rencontrer d’autres parents. Je crois que j’ai envoyé 12 invitations pour la première activité. Elles étaient 11. A la 3e activité, j’ai envoyé 15 invitations et elles étaient 17. Le bouche-à-oreille fonctionne! Je ne m’y attendais pas. Sincèrement, en lançant ces activités, je me suis dit : « s’il y a déjà un groupe de 5 femmes à qui cela peut apporter quelque chose, tant mieux. » Mais là, qu’elles soient toutes présentes ! Et puis, la dernière fois, je n’en avais pas invité une et une mère m’a demandé de lui téléphoner pour l’inviter. Je ne m’attendais pas à un tel succès au niveau de l’activité collective.

Créer des liens avec les services existants

Le centre de planning FPS, elles ne le connaissent pas. C’est pour cela que, la première activité, on s’est donné rendez-vous ici. Et puis, on est allé à pied jusqu’aux locaux du FPS. C’est vraiment à 2 rues d’ici ! Et les gens ne savent même pas qu’il y a une permanence le mercredi et le vendredi.  C’est pour ça  qu’on avait pris la décision de faire la première activité de l’autre côté. Histoire qu’elles voient un peu les locaux, qu’elles voient la personne qui est présente. C’est le but d’élargir, de ne pas garder tout au sein de l’ONE, parce que ce n’est pas notre projet, en premier lieu. Donc voilà, c’est un projet qui concerne différentes associations. C’est pour ça qu’il est important de faire appel à elles. Elles sont plus spécialisées que moi. Je pense que je suis là, juste pour faire le lien.

Apports du projet « MGF » à l’ONE

Notre point de départ a été le nombre de familles qui fréquentaient la consultation enfants de Saint-Marguerite, on s’est rendu compte que c’était vraiment bénéfique. Il n’y a jamais aucune mère qui m’a dit « il ne faut pas aborder le sujet ! De quoi vous vous mêlez ?! » – enfin à l’exception d’une situation – mais sinon, c’est toujours bien accueilli et c’est plus un soulagement de la part des mamans quand on aborde le sujet. Donc, maintenant, je l’aborde différemment quand monsieur est là et quand monsieur n’est pas là. Quand monsieur est là, c’est plus une question d’ordre général : « Qu’est-ce que vous pensez de l’excision ? On met ça en place à l’ONE, il y a le GAMS qui vient. Qu’est-ce que vous pensez faire par rapport à votre fille ? On aborde la loi. » Par contre, quand la mère est toute seule, je me permets de lui demander sa propre expérience, comment elle a vécu les choses, etc. Mais les messieurs, ils viennent. Ils ne viennent pas en consultation mais ils vont au GAMS, avec la maman, pour l’accompagner, pour voir un peu qu’est-ce qui se dit. Moi, il y a des papas que je n’ai jamais vus, ici, en consultation enfants, et que je vois à l’entretien du GAMS. Je dis « Monsieur ! On se rencontre pour la première fois. Je suis contente de vous rencontrer ! » Et c’est vrai que ça m’avait un peu étonné. Mais je pense que c’est un sujet qu’ils n’ont pas l’habitude d’aborder et qu’ils veulent savoir qui l’aborde, avec qui on le fait, et le fait qu’on ait une personne de référence qui est d’origine africaine – qui a vécu l’excision, et bien ça donne de la confiance aux parents.

Les consultations avant un voyage au pays d’origine

On regarde s’il y a des pathologies génito-urinaires à chaque consultation mais quand on sait qu’ils partent en voyage, on dit bien aux parents qu’on va  examiner l’enfant maintenant et qu’on la verra à leur retour et qu’on l’examinera encore. Il y en a qui demandent des conseils, mais, les parents savent. En général, ils gardent leur(s) enfant(s) près d’eux. Et j’ai une maman qui est retournée au pays mais qui n’a pas pris sa fille. Elle l’a laissée avec monsieur. Donc oui, il y a des craintes même pour eux : ils préfèrent parfois laisser leur(s) enfant(s) ici et ils partent seuls au pays ou il y en a qui nous disent qu’ils ne se séparent pas de leur(s) enfant(s) : « on sait les risques qu’il y a là-bas. »

Jusqu’à maintenant, on n’a pas eu d’enfants excisées. On a déjà eu des parents qui nous ont dit qu’ils voulaient exciser leur(s) enfant(s). Mais là, on fait le relais avec le GAMS, qui les revoit plus régulièrement et en général, leur manière de voir les choses évolue. Heureusement.

Ne pas le prendre personnellement…

Il y a un papa, qui un jour, m’a dit « Et, mais, ce sont vos chiffres de Blancs ! » quand je lui ai parlé des chiffres [prévalence] – c’était un papa somalien – en disant que là-bas, ça se pratique souvent. Il disait : « Non ! Vous ne savez rien ! Ça ne se pratique rien que dans les villages. C’est vos chiffres de Blancs ça !!! » Je me suis dit que cela ne servait à rien que moi je continue. Le tout n’est pas de monter dans la violence mais de faire un relais. C’était Ramata [animatrice communautaire au GAMS] qui était là, à ce moment-là. Ça s’est très bien passé avec elle. Donc, c’était vraiment que moi, je n’avais pas de légitimité à aborder ce sujet-là avec cette famille-là. Et rien de plus ! C’est comme ça, et on passe à autre chose. Ce n’est pas grave. Ça arrive.

Pour conclure….

Ici, pour notre consultation, cela n’a apporté que des choses positives. Parce que, je ne sais pas par quel(s) autre(s) biais, j’aurais pu réunir toutes ces femmes, qu’elles auraient pu discuter de toutes leurs difficultés en tant que maman, femme, épouse,… Enfin, voilà. Là, je suis contente de l’aboutissement de tout ça. On a commencé avec des consultations avec Samia, puis avec les animatrices du GAMS et maintenant, il y a tout le réseau liégeois. Donc tant mieux. On verra bien la suite !

 

Jasmina Topic est intervenue lors du colloque organisé par l’asbl INTACT le 23 novembre 2012. Elle y a présenté le projet de l’ONE. Sa présentation est disponible dans la publication des actes du colloques: « Vers un protocole de prévention et de protection des enfants victimes de mutilations génitales féminines« . Il est possible de télécharger ce document sur le site: www.intact-association.org dans la partie « colloque ». 


[1] A Liège, le projet a été développé à l’ONE de quartier de Sainte-Marguerite et à l’ONE de quartier de Féronstrée.

[2] Samia Youssouf, animatrice communautaire d’origine djiboutienne, travaille actuellement au Centre de Planning Louise Michel, pour le projet subventionné du Collectif liégeois de lutte contre les MGF. A l’époque, le Collectif n’était pas encore subventionné (financement à partir de 2011). Samia intervenait donc, dans les consultations ONE, en tant que bénévole.

[3] Samia est intervenue pendant trois mois avant que le GAMS ne la relaie.

[4] En fonction des thématiques, J. Topic fait appel à des spécialistes qui ont un partenariat avec l’ONE ou elle en créée un. Ainsi, le GAMS, le Collectif liégeois de lutte contre les MGF – que ce soit le Centre Louise Michel ou le FPS. Pour l’activité du mois d’octobre 2013, l’assistante sociale et la sexologue d’un 3e Planning Familial interviendront.