Je m’appelle Yalikathou Sylla. Je vais avoir 23 ans. Et, ça fait maintenant plus de 4 ans que je suis en Belgique.
D’une rencontre fortuite avec le GAMS…
Au début, je ne savais pas si j’étais vraiment impliquée dans la lutte contre l’excision parce que l’ignorance jouait tellement sur nous. Quand moi, j’étais là-bas, je n’ai pas eu la chance, d’entendre parler de ça. C’est vrai qu’il y avait un artiste qui chantait souvent « l’excision, c’est pas bon. Arrêtez et tout ça là. » Mais… c’était des chansons sur lesquelles je n’étais pas basée quoi. Parce que moi, je me disais que l’excision, c’est quelque chose de normal.
Mais quand je suis venue en Belgique. Quand j’ai demandé l’asile, ils nous ont conduits au centre. Un jour où j’étais stressée, j’ai été voir mon assistante sociale. Je lui ai dit que moi, vraiment, moi, j’étais fatiguée de rester tout le temps au centre là-bas : on n’a pas droit à des formations. On m’envoie poursuivre des cours de remise à niveau alors que mon niveau dépasse les alphabets déjà ! Elle m’a dit « mais il y a une association qui lutte contre l’excision. » Je lui ai dit que moi, je n’avais jamais entendu parler de ça. Elle m’a donné la brochure de présentation du GAMS. Elle m’a conseillé de la lire et de voir si, là j’avais des idées. Elle m’a dit qu’elle allait les contacter pour que je puisse y aller, parce qu’ils pourront m’aider. Y’a ma communauté, tu vois, un peu de tout, tout ça là. Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de problème. Mais, je n’étais pas intéressée. Parce que je ne me suis pas concentrer à lire le contenu. Mon objectif, en ce moment, c’était vraiment de sortir du centre, avoir une vie stable, les papiers, travailler, tout ça.
Une amie du centre a eu le bras cassé. Tout le monde n’avait pas le temps : prendre le train de Dinant, l’accompagner jusqu’à Bruxelles. En plus, elle était enceinte : il fallait la suivre, prendre les bus, les trams, faire tout le trajet. Les autres trouvaient ça un peu long. Elles m’ont dit demandé de l’accompagner. J’étais dans la chambre, elles discutaient de ça. Elles : « ah, demain, tu peux accompagner Aïssatou au GAMS ? » J’ai dit : « Au GAMS, au GAMS… c’est où ça au GAMS ?! Alors que j’avais la brochure !! Mais mon idée n’était pas sur ça.» Une fille, guinéenne peul, m’a expliqué : « Ah, au GAMS, moi, j’ai été là-bas, c’est bien. Comme toi, tu es artiste, tu peux partir peut-être, tu vas aimer quoi. Bon, comme on connait le genre de style que tu as, peut-être que même si cela ne te convient pas, ça va t’empêcher d’être stressée, d’être tout le temps là, à dormir, manger, te balader. » Je leur ai dit « y’a pas de problème. Je vais accompagner la dame pour voir réellement ce qui se passe là-bas. » On est venu, on l’a accueillie, j’ai un peu…visionné les 4 murs, les membres, tout, tout, tout. Quand j’ai accompagné la dame, j’ai pris rendez-vous. Je suis revenue, et j’ai rencontré Pamela. Elle m’a un peu expliqué c’est quoi l’excision, pourquoi le GAMS est là, quels sont les rôles que le GAMS joue dans la vie de toutes ces filles qui ont subi cette pratique-là. Je lui ai aussi un peu raconté mon histoire. Elle m’a dit que j’étais la bienvenue, que si je voulais venir, il y avait des ateliers – expression corporelle, les groupes de paroles, etc. – auxquels je peux participer.
… à l’idée de s’engager dans la lutte via la chanson.
J’ai assisté 2-3 fois à des activités. Mes observations, sur ces dames, étaient les suivantes : on a toutes les mêmes objectifs, on a toutes les mêmes douleurs. On vit la même souffrance. Mais, j’ai vu que personne n’ose ouvrir son cœur, dire vraiment ce que c’est la cause, cette pratique quoi. Parce qu’elles, elles ont toujours un peu honte. Je me suis dit : « mais…, ça, c’est intéressant hein ?! » J’ai me suis dit que si je cherche vraiment à m’approcher, essayer de comprendre réellement, quels sont leurs objectifs, leurs combats concernant la pratique là, je pourrais peut-être créer des projets. Essayer de voir comment je vais collaborer en tant qu’artiste avec une association qui n’a jamais eu la chance de m’écouter.
A l’atelier d’expression corporelle, Zahra [1] nous a parlées du désir du GAMS de créer un groupe de jeunes. Je me suis dit y’a pas de problème. Je suis prête et je suis partante. Dans ce groupe, on nous demandait ce que l’on voulait faire. Je me suis dit mais si… je leur proposais de chanter. J’ai fait écouter mon CD à Zahra. Elle m’a dit « mais, c’est bien ! Tu peux écrire aussi un truc comme ça sur l’excision ? »
Les débuts sur scènes
Plus tard, on m’a parlé du spectacle de Sayon Bamba [2] , au Botanique. Je me suis dit « Ah, c’est… je veux m’engager dans la lutte-là. Mais… je ne sais pas comment, par où commencer, qu’est-ce qu’il faut faire ?! Mais, je vais quand même les suivre. Essayer de montrer une première expérience. »
Mais avant de… composer cette chanson… j’avais les idées mais… tu sais, quand… tu es troooppp… tu vois, prise par… la procédure d’asile, des fois, tu as l’idée mais, tu ne sais pas comment les réunir jusqu’à ce que cela devienne quelque chose de bon. Le jour où j’ai vraiment eu la chanson complète, mon petit ami s’est foutu de ma gueule. Je me suis dit… pourquoi tout ça là ?! Suite à cela, j’ai vite réécrit une chanson sur l’excision.
J’ai fait mon premier spectacle au Botanique. Une dame m’a dit : « Mais tu es Guinéenne ? Qu’est-ce qui t’envoie au GAMS ? » J’ai dit : « La curiosité, le stress… tout ! Tout m’envoie au GAMS. » Elle m’a dit : « C’est bien, il faut continuer, il faut avoir le courage. Il faut pas te mettre dans la tête que parce qu’aujourd’hui, c’est le début, que tu n’as pas tes papiers, que tu ne peux pas arriver. » Elle m’a un peu expliqué son parcours, comment elle a souffert. Je me suis dit chapeau ! Je me suis dit : « Maintenant, je m’engage quoi ! »
Le poids de la famille, de la communauté, de la tradition
Mais… quand je suis repartie, j’ai commencé un peu à avoir le poids de la famille sur moi. Parce que… la famille, la majeure partie se disait « Tu oses ?! Pourquoi, toi-même tu remets en cause ta propre tradition, ta propre culture. Tu te mets à combattre contre cela ! »
J’ai appelé ma maman. Je lui ai un peu expliqué et j’ai dit : « Vous, vous êtes une femme. Peut-être que vous avez vécu cela. On vous l’a faite [l’excision]. Nous, on a été victime. Mais pas comme ces filles qui ont été infibulées, qui ont été vraiment coupées partout. On sait c’est quoi. Parce que, des fois, on est bloqué là, quand on est en intimité, y’a rien de bon. Tu es là, l’homme se fout de toi. Il se dit tu… tu n’es rien quoi. Il te prend, tu es juste, lui, il est satisfait, il pense pas, tu vois, à la façon dont toi, toi en bas, là, tu vois… » J’ai un peu expliqué ça à ma maman. Elle m’a dit que je commençais à progresser !
Maman a une amie qui est médecin. Donc, elle me dit qu’elle comprend mais que cela ne sera pas facile de faire comprendre aux autres que c’est pas bon. Je lui ai dit « maman, il faut lutter ! » Ce sont souvent les mamans qui vont attraper les filles pour couper tout, tout, tout. Mais si tu me prends ma main pour me couper, tu es complices quoi, tu peux être inculpée aussi.
Certaines personnes de ma communauté pensent que je suis envoûtée parce que je lutte contre la pratique, parce que je la critiquais et que je disais que cela apporte des souffrances. Mais c’est la réalité ! Nous, on en souffre. Ca joue encore sur beaucoup de couples qui sont là, aujourd’hui : beaucoup franchissent les portes mais les femmes ont peur de se plaindre parce que pour elles, elles trouvent que c’est la honte.
J’ai expliqué à ma maman que je voulais lutter avec l’association, mais que je ne le ferai que si elle était ok avec ma lutte, mon combat. Moi, c’est tout ce qui m’intéressait, parce que je ne voulais pas la stresser. C’est pour cela que je voulais lui expliquer ce qu’est l’excision, pourquoi ce n’est pas bon, pourquoi c’est interdit. Je lui ai expliqué que là-bas, il y a des jeunes filles excisées qui meurent en accouchant. Des enfants meurent suite aux complications à l’accouchement ou aux fausses couches. L’excision cause beaucoup de tord. Même les médecins, qui sont en Afrique, entendent parler de l’excision mais ils ne connaissent pas ! Par exemple, les douleurs qui peuvent ressentir des femmes excisées peuvent être dues à la pratique mais les médecins ne le savent pas ! Ils vont peut-être se dire que c’est une affaire de grigri, karamoko [sorcier ou marabout], aux fétiches, alors que ce n’est pas ça !
Maman m’a comprise et a dit « ben, en tout cas, celles qui sont nées, moi je ferai mon maximum pour empêcher la famille de lui faire subir la même chose. Si je ne peux pas les en empêcher, je leur dirai de ne pas être sévère avec les filles. »
Je lui ai dit que son combat était juste. Pour ma part, moi, j’allais chanter et avancer dans ce sens. Je veux être militante envers toutes les souffrances des femmes, celles dont elles n’osent pas parler. Je veux être leur porte parole. Maman m’a souhaité bonne chance : « Si c’est ce que tu veux faire, ben vas-y. » C’est comme ça que je me suis engagée pour être militante vraiment contre l’excision, les violences faites aux femmes, tout ça là.
Vers d’autres envies et projets
Oui, oui, oui, j’ai plein d’idées. Je ne veux pas être militante seulement pour le GAMS ou au GAMS ou au nom du GAMS. Mais pour le moment, je ne peux pas les mettre en place (manque de financements, de soutien, etc.). Pour l’instant, je veux juste être stable. Avoir vraiment un boulot.
Message à transmettre
Il y a beaucoup de personnes qui viennent au GAMS, que ce soit dans le groupe jeunes ou les autres ateliers, et qui ne savent pas pour quoi elles viennent. Bien qu’on leur explique c’est quoi l’excision. Mais je les comprends hein : quand tu es stressée par les problèmes de papiers, si t’es pas forte dans la tête, tu peux même pas penser à ton propre [corps]… A plus forte raison, venir écouter les gens qui parlent tout le temps de la même chose. Elles, elles trouvent ça un peu… comme une perte de temps. Ca ne rapporte rien, alors que c’est dans leur propre intérêt ! Parce que même si t’es coupée, mais si tu ne viens pas auprès des gens qui peuvent vraiment t’aider à ce que tu sois libérée dans ta tête, tu seras toujours là, prisonnière de ton mari. Et c’est toi seule qui va vivre la douleur-là. L’homme, il s’en fout de toi. Quand lui, il veut son plaisir, s’il ne l’a pas avec toi, il va aller ailleurs ! Toi, tu seras là à dire « Il ne m’aime pas parce que peut-être, je ne le satisfais pas bien. » Mais, les portes qui doivent vraiment te pousser à aller, vraiment à comprendre, jusqu’à faire comprendre ton homme, c’est comme ça, on doit faire. Si tu ne vas pas là-bas, tu ne sauras rien hein !
Mais de toutes les façons, on va faire passer le message que ce soit dans les métros, en mangeant avec ces femmes qui jusqu’à présent sont ignorantes, parce que cela nous concerne toutes.
Chansons écrites et chantées par Yalikathou Sylla
2014, festival Babel à Bruxelles
2015, 4 février pour les activités proposées par le GAMS dans le cadre de la Journée Internationale de lutte contre les MGF (la chanson débute à 8’36 »)
[1] Zahra Ali Cheick est la coordinatrice de Bruxelles du GAMS Belgique . Elle est animatrice communautaire, s’occupe des premiers accueils ainsi que du groupe des jeunes de l’association.
[2] Sayon Bamba est une chanteuse d’origine guinéenne qui s’est engagée dans la lutte contre l’excision. Pour en savoir plus: ici