Je m’appelle Mohamed Nur Fos. Je suis somalienne. Je suis arrivée en Belgique en 2000. J’ai 3 enfants que j’ai eus par césarienne à cause de l’excision. Je suis contre l’excision. Depuis des années, je lutte contre ça : pour sauver les autres filles et sauver la vie de ma fille aussi.
C’est en Belgique, lors d’une consultation chez un gynécologue, 5 ans après son arrivée, que Mme Fos a appris qu’elle était « différente des autres femmes », que toutes les femmes n’étaient pas excisées. Suite à la réaction du gynécologue, elle se sent mal. Elle décide d’en parler à quelqu’un de confiance qui l’oriente vers un Planning Familial (Louise Michel). Mme Fos prend alors conscience que si elle n’obtient pas un statut de réfugiée, de retour au pays, sa fille risque d’être elle-même excisée. A ce moment-là, elle décide d’agir. Elle contacte les journaux, la télévision.
Engagement dans la lutte
A ce moment-là [après avoir obtenu son statut], j’ai dit, là, je peux en parler librement. Et là, ça a commencé l’excision. J’en parlais partout. Chaque conférence. Tout ! J’ai même fait des photos. J’ai fait des photos aussi avec Samia [Youssouf du CL-MGF]. C’était en 2007 ou 2008. En 2007 je pense, à Herstal. Et c’est à ce moment-là que Samia a commencé à parler. Et moi, je me suis dit « je me suis déjà fatiguée à parler, elle, elle commence à ce moment-là !» (Rires). Et ce soir-là, je lui ai dit « je fais une photo avec toi, mais je ne vais pas parler. C’est ton tour j’ai dit. (Rires). » Partout, on me téléphonait. Partout. Les journaux, et tout et tout. Les journées contre les MGF et tout ça. Même si on allait à Vottem, pour les sans-papier, j’en parlais, j’étais partout ! J’étais partout.
Pression de la part de la communauté
Parce que j’ai parlé de notre tradition, je suis mal vue par mon entourage, les autres Somaliens. Je n’ai pas d’amis somaliens, à part Samia. Et des gens que je vois comme ça. Pour eux, j’ai fait une grande erreur en parlant de notre coutume, et en plus publiquement : à la télé, partout et tout !
A des moments, des gens m’ont dit que je faisais ça parce que j’avais envie d’avoir mes papiers. Je leur ai dit que même lorsque j’aurai mes papiers, je passerai partout. Même si je suis toujours en Belgique, je leur ai dit qu’ils me verraient partout. C’est le papier qui me bloque ? Non ! Et c’est ça que je veux leur montrer : ce n’était pas les papiers. C’était la vie de ma fille.
Il y a 4 ans, j’ai divorcé. Les hommes, les femmes et les hommes somaliens, lui disaient : « oui, ta femme, elle parle là ! Ta femme, t’arrives pas à tenir bien ta femme. Nous on a nos femmes à la main. On les tient bien. Elles ne peuvent rien dire, elles ne peuvent pas sortir. Déjà, en plus, ta femme, elle est allée à l’école ! Ouhhh ! » Mon mari m’a fait des reproches. Je lui ai fait valoir que je ne lui devais rien, que j’étais venu seule en Belgique, sans son aide [sans regroupement familial] et que par conséquent, j’étais libre d’agir comme je le souhaitais. Nous avons fini par divorcer.
Se battre pour la garde de sa fille
Mon mari souhaitait avoir la garde de ma fille, mon fils l’intéressait moins. Il voulait vraiment prendre la petite et l’amener là. Parce que cela l’intéressait plus, pour me casser. Comme ça, si lui, il faisait ça, moi, j’allais en prison.
Je suis donc allée trouver un avocat qui m’a dit que je pouvais essayer d’obtenir la garde totale. Ce que j’ai obtenu : si mon mari quitte le pays avec les enfants, il faut ma signature. Sans ma signature, il ne peut pas partir.
Mon mari dit que personne ne va vouloir se marier avec ma fille. Je lui réponds que ma fille va se marier en Belgique. Pas en Afrique. En Afrique, oui, une fille qui n’est pas excisée, c’est une pute, elle ne peut pas se marier. Et la mère est mal vue aussi parce qu’elle n’a pas fait son rôle de mère. Je lui dis que nous vivons à Liège, en Belgique ! Elle va trouver quelqu’un ici. Et ma fille me dit : « papa, il est malade ou quoi ?! Il croit quoi ?! Que je vais me marier avec un Africain que je ne connais même pas ?! » Il rêve, elle me fait. Oui, il rêve. A sa majorité, une fois qu’elle aura 18 ans, elle aura le choix, elle pourra partir où elle veut.
Besoin de se retirer
Un moment donnée, en 2010, j’ai pris un petit « break » comme on dit. J’ai dit « ah quand même, il faut que je souffle. » Il fallait que j’ai un diplôme, quelque chose pour assurer ma subsistance et celle de mes enfants. Et à ce moment-là, j’ai commencé à suivre des cours à l’école. J’ai eu mon diplôme de vendeuse.
Sensibilisation des pairs
Et maintenant, je recommence à revivre, à recommencer le même chemin que j’ai parcouru et pouvoir expliquer aux mamans, dire de ne jamais exciser parce qu’elles savent déjà le mal qu’elles ont elles-mêmes maintenant. Mais pourquoi… reproduire ça pour leurs enfants ?! Surtout leurs filles ! Et là, en même temps, si elles savent qu’il y a le risque qu’on excise leur fille, pourquoi aller là-bas ?!
Les questions que je me pose : j’ai peur qu’on excise ma fille. J’ai envie d’aller voir ma famille. Ma fille reste ici en Belgique. Je m’arrange pour qu’il y ait quelqu’un chez qui elle puisse rester 15 jours – 3 semaines, parce qu’en Afrique, on ne peut pas y rester des mois non plus! Pendant 15 jours ou 3 semaines, elle peut rester avec quelqu’un et moi, je peux aller voir ma famille. Si elle veut voir ma famille, ma mère, mes frères et tout, il y a skype aujourd’hui. Donc, elle peut directement les voir par l’ordinateur. Quand elle aura 18 ans, à ce moment-là, c’est elle qui décidera et moi, j’aurai fini mon travail de maman ! Le travail de maman, ça ne finit jamais mais… mais au moins, j’aurai protégé ma fille jusqu’à sa majorité.
Je vais continuer, jusqu’à la fin de ma vie, à combattre l’excision. Expliquer aux parents qu’elles doivent voir, qu’elles doivent se sentir comme elles se sentent. Elles doivent éviter, elles doivent sauver leurs filles. Tu as mal, tu le sais bien, tu souffres. Pour avoir des enfants, c’est par césarienne parce que comme on dit, par voie basse, ça ne passe pas. Moi, chez moi, ça ne passe pas. Parce que tout est mélangé. Et voilà quoi. Pour éviter ça, essayez de garder vos filles à la maison. Voilà. C’est la seule consigne que je peux leur donner.
Je n’en veux pas à ma mère. Parce que même si elle ne l’avait pas fait [m’exciser], c’est ma grand-mère qui l’aurait fait. Donc… en tant que femme, ce n’est pas toi qui a la décision. C’est les grands-parents, du côté du papa, qui ont la décision. Entre guillemets, la mère, elle n’a rien à dire.